URBANISME Urbanisme et architecture
Interventions territoriales modernes
Existe-t-il aujourd'hui une conception spatiale de la ville, analogue à celles qui se sont manifestées, de façon plus ou moins évidentes, dans le passé ? C'est douteux, car toutes les conceptions de jadis présupposaient une nette séparation entre ville et campagne, qui a été balayée avec l'avènement de l'automobile. Le processus du décentrement urbain est devenu inéluctable, et ne peut être limité que partiellement par des anneaux agricoles et des noyaux satellites. De la ville on passe au territoire, à un continuum urbanisé qui répugne à se soumettre à un ordre préétabli.
Par ailleurs, si le monde moderne discute beaucoup de plans, s'il en formule des quantités incroyables, il n'en veut pas. Relativement aux temps où Versailles était désigné comme le prototype parfait de l'organisation spatiale, et Las Vegas comme l'horreur et le chaos, il y a un renversement de l'attitude culturelle : on refuse l'hibernation de Versailles, tandis que l'on s'enivre du kitsch évident de Las Vegas. Le pop art a inscrit avec une éloquence véhémente le visage authentique de la métropole, en révélant et en proclamant que la ville n'est pas un musée, et que le laid en constitue un facteur indispensable.
Ce qui n'implique ni résignation ni passivité mais, au contraire, appelle des interventions architectoniques ou urbatectoniques extrêmement courageuses, à une échelle inédite, capables de réintroduire et de racheter aussi les négativités d'un décor territorial dans une image nouvelle. On peut appliquer au rapport actuel entre urbanisme et architecture ces paroles de Robert Rauschenberg : « L'art ne suffit pas. La vie ne suffit pas. Il faut combler le vide entre l'art et la vie. » Du reste, Marina City à Chicago peut être interprétée comme un coup de pinceau à la Rauschenberg sur un amas de rebuts de la civilisation industrielle.
Certes, aujourd'hui, c'est aussi à un niveau humain et sociologique que Las Vegas est plus significative que Versailles. On a pu établir que dans les bidonvilles, les barriadas et les rassemblements « abusifs » de baraquements, le degré d'intensité sociale est supérieur à celui des quartiers modèles planifiés par les architectes. L'hymne à la non-architecture ou à l'« architecture sans architectes » présente de nombreux aspects démagogiques, mais il est salutaire. Les gens ne veulent pas une maison belle ou laide, ils veulent une maison qui soit à eux, construite par eux-mêmes pour eux-mêmes, et dans laquelle on puisse retrouver sa propre identité.
La révolte contre le plan bureaucratique a connu un précédent dans les premiers siècles du christianisme, au cours desquels s'opéra la destruction de la grammaire et de la syntaxe du monde classique, et la substitution d'une architecture temporalisée à une architecture de l'espace. Naturellement, par la suite, même l'architecture du temps devint spatiale, mais sur un mode radicalement nouveau. C'est ce qui va arriver – c'est même ce qui est déjà en train d'arriver – dans la situation contemporaine. On prépare des interventions gigantesques, qui ne détruiront pas les bidonvilles, mais qui en exalteront la formation spontanée par l'insertion d'occurrences architectoniques préfigurées déjà en grande partie par les utopistes.
La cité-territoire renverse les rapports traditionnels d'identité ou de contraste entre urbanisme et architecture, et la notion même d'urbatecture à l'échelle où elle a été jusqu'à présent tentée. Mais le problème d'un aménagement global nouveau – dont portent témoignage aussi bien les paysages désolés de la réalité que les stimulantes et souvent géniales utopies – a trait aux interventions macroscopiques où viennent se fondre, dans la recherche d'une qualité alternative de vie,[...]
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Écrit par
- Bruno ZEVI : professeur d'histoire de l'architecture, auteur, président du Comité international des critiques d'architecture
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Média
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