TEINTURES PRÉCIEUSES DE LA MÉDITERRANÉE (exposition)
La découverte des colorants de synthèse au xixe siècle et leur multiplication due aux progrès de l'industrie chimique nous font oublier l'importance qu'avaient auparavant les teintures naturelles. L'œil de l'usager, alors sensible aux moindres nuances, savait distinguer les coloris les plus prestigieux comme la pourpre impériale qui était réservée, à Rome ou à Byzance par exemple, aux vêtements portés par les monarques et leur entourage.
Au musée des Beaux-Arts de Carcassonne, puis au Centre de Documentació i Museu Tèxtil de Terrassa en Espagne du 15 juin au 15 septembre 2000, une exposition a présenté des textiles teints à la pourpre, au kermès ou au pastel, trois colorants parmi les plus puissants et les plus précieux connus dès la préhistoire. Presque tous les documents présentés avaient été analysés dans des laboratoires spécialisés, grâce à des procédés chromatographiques et spectrométriques permettant de déterminer la nature de leurs colorants afin de les regrouper. Ainsi, les visiteurs des expositions avaient pour la première fois la possibilité de voir directement les couleurs obtenues par ces différentes teintures.
La pourpre était la teinture la plus importante dans le monde antique, « ... signe de puissance et de richesse que l'on emporte avec soi jusque dans la tombe ou dont on enveloppe les reliques les plus sacrées » (D. Cardon).
La matière tinctoriale utilisée pour obtenir la couleur pourpre est sécrétée par une glande présente chez plusieurs coquillages marins de la famille des murex. Chaque individu en produit quelques gouttelettes, et pour obtenir 1,4 gramme de pigment de pourpre, il fallait 12 000 mollusques. La couleur obtenue variait selon les espèces de coquillages du violet rouge au violet bleu, mais n'était jamais un véritable rouge.
Des textes anciens (tablettes, manuscrits, livres) relataient la longue histoire des recettes de teinture dans le monde méditerranéen. Notamment l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, « seule source écrite qui nous soit parvenue de l'Antiquité où sont donnés tous les éléments d'information nécessaires à la reconstitution des procédés de teinture en vraie pourpre, extraite de coquillages ». Mais il fallut la persévérance du chimiste libanais Joseph Doumet pour en percer les mystères (J. E. Doumet, Étude sur la couleur de la pourpre ancienne, Beyrouth, 1980). Dans son passionnant « Hommage à Pline l'Ancien », reproduit dans le catalogue, il démontre la justesse des observations du naturaliste romain.
Dès les années 1920, les fouilles de la nécropole de Palmyre ont mis au jour des textiles datant des ier et iie siècles de notre ère, la plupart ornés de bandes de tapisserie en laine, fibre qui prend bien la teinture. Ils constituaient dans l'exposition de remarquables exemples de teintures obtenues avec la pourpre de coquillages. Une autre série de documents étonnants était la collection d'épreuves photographiques à la pourpre (sensible à la lumière) tirées sur carré de soie en 1858-1859 par Henri de Lacaze-Duthiers, professeur de zoologie à la Sorbonne et fondateur des centres de biologie marine de Banyuls-sur-Mer et de Roscoff.
La rareté des coquillages à pourpre avait de tout temps incité les teinturiers à chercher d'autres matières pour obtenir différents rouges, les « fausses pourpres ». Ainsi, l'analyse des nombreux tissus coptes du musée Georges-Labit de Toulouse a révélé que les colorants utilisés pour teindre les trames de laine en pourpre-violet étaient de l'indigo et de la garance. La couleur voulue résultait de la superposition des deux teintures : à un fond de bleu d'indigo – probablement à base de pastel –, on ajoutait un mordançage (fixation) à l'alun, puis une teinture rouge dans un bain de garance. Un autre tissu copte, conservé en partie au musée Georges-Labit et en partie au Louvre, présente une combinaison très rare de kermès et de garance.
Dans l'Empire perse, à Byzance et dans l'Espagne médiévale, le kermès a joué un rôle presque aussi prestigieux que la pourpre, comme de très beaux textiles présentés à l'exposition le montraient. Longtemps considéré comme une graine végétale, le kermès est en fait un insecte autrefois appelé le petit ver (le vermiculus ou vermillon), qui a donné son nom à la couleur. Fixée sur les branches du chêne-kermès (Avau ou Agarras en provençal, d'où le nom de garrigue dans le midi de la France), la femelle se présente comme un pois de couleur brun rouge mat. On la récoltait lorsqu'elle était pleine de petits œufs rouges afin d'en extraire la teinture.
Le pastel, appelé aussi guède, est une plante crucifère, seule source d'indigo indigène en Europe. Ses tiges sont broyées en une pâte (pastel) que l'on façonne en boules appelées coques ou cocagnes. Il fallait un long travail de fermentation pour parvenir à teindre les tissus en bleu. Employé pur au Moyen Âge, ou renforcé à l'indigo d'importation dès le xviie siècle, le pastel n'est pas seulement la source de teintures bleues grand teint, il est aussi la base de nombreuses couleurs composées. Un sous-produit de la teinture au pastel, la florée, poudre raclée sur le pourtour des cuves, a été utilisée par les peintres, donnant ainsi naissance à la technique du pastel.
Fruit d'une étroite collaboration entre scientifiques et historiens, le catalogue a été conçu et dirigé par Dominique Cardon, à qui nous devons aussi un remarquable Guide des teintures naturelles. Son inlassable curiosité l'a conduite à reconstituer les anciens procédés de teinture, depuis la culture des plantes ou l'élevage des insectes jusqu'au textile teint ; elle a donc acquis une expérience hors pair qui lui a permis de résoudre les énigmes que posent les textes anciens. De plus, ses vastes connaissances linguistiques lui donnent accès aux archives d'un grand nombre de pays méditerranéens. Parce qu'il livre de nouvelles clés d'analyse, le travail de Dominique Cardon révèle aussi des aspects méconnus de la vie économique dans l'Antiquité et au Moyen Âge.
Bibliographie
Teintures précieuses de la Méditerranée, pourpre, kermès, pastel, catal. expos. (bilingue, français-espagnol), sous la dir. de D. Cardon, musée des Beaux-Arts de Carcassonne, 1999, et Centre de Documentació i Museu Tèxtil de Terrassa, 2000
D. Cardon, Guide des teintures naturelles, plantes, lichens, champignons, mollusques et insectes, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1990.
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Écrit par
- Monique LÉVI-STRAUSS : chercheur en histoire des textiles
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