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KANTOR TADEUSZ (1915-1990)

Tadeusz Kantor - crédits : M. Kalter/ AKG-images

Tadeusz Kantor

Comme un fil rouge, la mort ne cesse de parcourir l'œuvre théâtrale de Tadeusz Kantor, jusqu'à ses ultimes créations : ainsi, dans Qu'ils crèvent les artistes ! (1985), le personnage de l'artiste, alter ego de Kantor, n'en finit pas de mourir, l'événement tragique tournant au gag de cirque ; Je ne reviendrai jamais (1988) se termine par le mariage-enterrement d'un mannequin à l'effigie de Kantor. Depuis La Classe morte (1975), la formule « théâtre de la mort » est donc celle qui condense le mieux le sens de l'œuvre de l'artiste. Mais il faut souligner qu'à travers une telle idée celui-ci réaffirme les valeurs de la vie qu'il voit de plus en plus menacée par les désastres de l'histoire provoqués par la bêtise des hommes, incapables de tirer la leçon de leurs malheurs.

« Entre éternité et poubelle »

Tadeusz Kantor est né le 6 avril 1915 à Wielopole, petit bourg situé près de Cracovie, en Galicie, qui faisait partie de l’Empire austro-hongrois avant d’être rattachée à la Pologne, en 1918. Fils d'instituteur, Kantor reçoit à partir de 1934 une formation de plasticien et de scénographe. Il travaille avec Karol Frycz, disciple de Gordon Craig, découvre Meyerhold et Piscator. Influencé par le constructivisme russe et allemand, il trouve dans le dadaïsme de Duchamp et de Picabia, dans le surréalisme de Breton les premiers axes de son chemin artistique. Les principaux courants de l'art contemporain (informel, abstraction, Fluxus, artepovera) ont aussi laissé des traces importantes dans son œuvre théâtrale et plastique.

Kantor commence à faire du théâtre clandestin à partir de 1942, sous l'Occupation allemande. Dans un appartement bombardé, il réalise Le Retour d'Ulysse de Wyspianski (1945, repris en 1989, parallèlement à Je ne reviendrai jamais). Les circonstances l'obligent à utiliser des objets réels, de la matière brute, et à abandonner le lieu théâtral traditionnel. Le théâtre devient pour lui un moyen de résister aux événements extérieurs : il va rester fidèle toute sa vie à cette idée. Au temps du stalinisme, écarté de son poste de professeur de scénographie à l'École des beaux-arts de Cracovie, il peint, et fonde avec des amis artistes le groupe théâtral Cricot 2 (dérivé de to cyrk, le cirque). Ses premiers spectacles naissent dans une cave. Déjà pour monter Shakespeare (Hamlet, 1956) ou Anouilh (Antigone, 1957), il recourt à des poupées géantes et à des objets hétéroclites.

La manipulation de la réalité, l'utilisation et le détournement de l'objet (ready-made) tiré du niveau le plus fruste de la réalité, a constitué un axe important de la recherche de l'artiste, au théâtre comme dans sa peinture ou dans ses happenings (Happening-Cricotage, 1965 ; Grand Emballage, 1966 ; Happeningpanoramique de la mer, 1967). Libérée de toute fonction pratique, « la réalité du rang le plus bas » – « entre éternité et poubelle » – devient enfin libre d'être, tout simplement. Une ombre inquiétante efface désormais les frontières rassurantes entre le sujet et l'objet, la matière vivante et l'inanimée, la vie et la mort.

À partir des années 1960, Kantor met également en scène plusieurs pièces de l'écrivain polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz, ou plutôt, comme il a dit, joue « avec » lui. Le Fou et la nonne (1963), parallèlement au « manifeste du théâtre zéro », poursuit la déstructuration de la réalité : la signification des mots est abandonnée, la psychologie aussi, les acteurs doivent jouer « en sourdine ». La période des emballages et des happenings se clôt avec le Manifeste 70 : contre la société de consommation, Kantor propose une œuvre dépourvue de toute valeur et de toute signification, donc impossible à consommer.

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Écrit par

  • : professeur associé de littérature française à la faculté des lettres de Florence (Italie)

Classification

Pour citer cet article

Brunella ERULI. KANTOR TADEUSZ (1915-1990) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Tadeusz Kantor - crédits : M. Kalter/ AKG-images

Tadeusz Kantor

Autres références

  • LA CLASSE MORTE, Tadeusz Kantor

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 326 mots

    Tour à tour peintre, plasticien, scénographe, puis metteur en scène et auteur, Tadeusz Kantor (1915-1990) fonde en 1955 le Théâtre Cricot 2 (anagramme de « to cyrk », le cirque). Dans la cave de la galerie Krysztofory à Cracovie, il poursuit une recherche théâtrale issue de diverses influences...

  • POLOGNE

    • Écrit par Jean BOURRILLY, Universalis, Georges LANGROD, Michel LARAN, Marie-Claude MAUREL, Georges MOND, Jean-Yves POTEL, Hélène WLODARCZYK
    • 44 233 mots
    • 27 médias
    ... siècle. Il enseigna aux États-Unis de 1982 à 1984, puis en Italie où un institut fut créé pour lui en 1985, et au Collège de France en 1997. Tadeusz Kantor (1915-1990), également peintre, impose une vision plastique qui relègue le texte au second plan. Son spectacle, La Classe morte (1975),...

Voir aussi