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SENANCOUR ÉTIENNE PIVERT DE (1770-1846)

L'écrivain français Senancour semble avoir été la victime d'une malchance qui l'a poursuivi par-delà la mort. Inconnu jusqu'au jour où Sainte-Beuve, George Sand, Liszt le découvrirent, il fut un peu dérouté par ces amitiés romantiques et demeura à l'écart. Oberman était alors – et restera peut-être toujours – le bréviaire de quelques initiés, de « happy few », dont le nombre est un peu trop restreint. Cette œuvre fondamentalement originale mériterait de trouver une audience plus large.

Une existence érémitique

Étienne de Senancour a été profondément marqué par son enfance triste et terne. Issu d'une famille bourgeoise parisienne, seul enfant d'un étrange couple venu au mariage par un goût commun du couvent, il doit à une éducation janséniste une certaine méfiance pour les élans de l'imagination et de la passion, une maladie du scrupule aussi, qui eut sur son œuvre les effets les plus funestes. Il y gagna, il est vrai, une habitude de l'analyse et de l'introspection, de la méditation religieuse, dont le romancier et le moraliste sauront tirer profit. « Amoureux de cartes et d'estampes », l'enfant se réfugia dans l'étrange univers qu'il imaginait d'après les récits des voyageurs ou Robinson Crusoé.

On le met en pension au collège de La Marche ; aux jeux de ses camarades il préfère la lecture de Buffon, de Malebranche, d'Helvétius. Cette enfance et cette adolescence trop confinées furent brusquement aérées par la découverte de la campagne et des environs de Paris, Chaalis d'abord, Fontainebleau plus tard, où, avec un sens très sûr de la nature, des éclairages, des couleurs, il puisa quelques thèmes fondamentaux de sa rêverie.

Il partit brusquement pour la Suisse, en juillet 1789, devançant le flot des émigrés, mais, semble-t-il, pour des raisons étrangères à la situation politique : n'ayant pas le courage d'affronter directement son père, qui avait décidé de le faire entrer au séminaire de Saint-Sulpice, il eut cependant celui de fuir. L'imagination de Senancour s'exaltait : il rêvait de voyage depuis sa première enfance. La Suisse était une terre bénie pour un grand lecteur de Rousseau. Elle offrit à Senancour des paysages qui le transportèrent. Ainsi prirent forme les motifs majeurs de son univers poétique : neige, altitude, eau nocturne, fleurs alpestres.

La Suisse fut aussi la patrie des désillusions. En 1790, Senancour épousa une Fribourgeoise, Marie Daguet : ce fut une suite de déceptions. L'écrivain ne fut guère plus heureux à Paris, dans sa passion pour Mme Walckenaër. Il ne lui restait plus qu'à se réfugier dans le rêve, loin des tristesses d'ici-bas. Senancour ne se refusa pas ces compensations de l'imaginaire ; il plaça en son monde intérieur un jardin planté de fleurs symboliques : violette du premier amour, jonquille de ses désirs mystiques pour la femme-ange à jamais lointaine. Il dut revenir plusieurs fois en France, avant même la réaction thermidorienne. Il traversa des périodes de quasi-misère et de grand découragement. De 1800 à 1802, il fut précepteur des petits-enfants de Mme d'Houdetot, près de qui il ressaisit un parfum suranné du xviiie siècle. Mais la trentaine fut pour lui l'âge des illusions perdues. Cette prise de conscience aboutit à deux œuvres importantes : les Rêveries sur la nature primitive de l'homme (1799) et surtout Oberman (1804).

Au lendemain d'Oberman, Senancour semble renoncer pour un temps à l'autobiographie et au roman ; il publie De l'amour (1806), et les Observations sur le « Génie du christianisme » (1816) : réponse agacée d'un philosophe aux « sophismes » de l'Enchanteur. La maturité de Senancour est assez pauvre en œuvres majeures. Il semble avoir été paralysé par des difficultés matérielles, et plus encore par[...]

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Pour citer cet article

Béatrice DIDIER. SENANCOUR ÉTIENNE PIVERT DE (1770-1846) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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