Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BELLOW SAUL (1915-2005)

L'invention de l'Amérique

Paru en 1944, Dangling Man, journal intime que tient Joseph pendant l'hiver 1942-1943 où il attend, dans la solitude frileuse d'un meublé, le printemps et le jour où l'appel sous les drapeaux le libérera enfin du fardeau oppressant de la liberté, reflète le désarroi d'une génération que les procès de Moscou ont laissée orpheline du grand projet pour le salut de l'humanité qui l'avait jusqu'ici soutenue. Ancien militant du Parti communiste, Joseph, devenu homme du souterrain et dont le « je », comme celui du Roquentin de Sartre, désormais « ballotte », esquisse dans sa déréliction le procès des utopies que Bellow ne cessera plus d'instruire, mais sa confession prend aussi à contre-pied tout un code de la bienséance qui prétend dicter ce qu'il est américain, ou non, de ressentir et d'exprimer. Le thème revient dans The Victim (1947) : dans un New York tropical, conradien, un gentilhomme héritier, à ses dires, d'une dynastie américaine, mais tombé dans la clochardise, traque jour et nuit, comme dans L'Éternel Mari de Dostoïevski, le fils d'immigrant qui l'aurait dépossédé, sape sa précaire assise sociale, menace de l'entraîner dans les bas-fonds. Après ce roman de facture classique et qui trahit un Saul Bellow encore contraint et soucieux d'écrire selon les règles, c'est en 1953 l'exubérante percée des Aventures d'Augie March (qui obtient le National Book Award) : une rhapsodie whitmanesque où un Huckleberry Finn des quartiers yiddish de Chicago s'affranchit de la tyrannie des aristocrates, vagabonde à la découverte, « Christophe Colomb du proche » comme l'autre l'était du lointain, et réclame, par le mouvement même de son picaresque récit et par le dialecte qu'il parle, ses droits sur l'héritage américain, celui d'Emerson et de Thoreau, à la face de ceux qui prétendent le tenir en lisières et sur les marges de l'Amérique.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Yves PÉTILLON. BELLOW SAUL (1915-2005) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Saul Bellow - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Saul Bellow

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Marc CHÉNETIER, Rachel ERTEL, Yves-Charles GRANDJEAT, Jean-Pierre MARTIN, Pierre-Yves PÉTILLON, Bernard POLI, Claudine RAYNAUD, Jacques ROUBAUD
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    ...passé, entre la tête et le cœur, qui offraient aux auteurs un riche champ d'exploration et une multiplicité de points de vue n'ont plus grand sens pour un Bellow, un Malamud, un Baldwin. Plus qu'un divorce racial, il y a là sans doute un fait de civilisation contemporaine (le contraste Paris-Province n'est-il...
  • HERZOG, Saul Bellow - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel FABRE
    • 859 mots
    • 1 média

    Avec Herzog (1964), son sixième roman qui lui valut le prix Pulitzer, l'écrivain américain Saul Bellow (1915-2005) se révèle non seulement comme l'un des romanciers américains les plus intelligents de sa génération, mais probablement comme le plus grand styliste de son temps. Le livre fut pourtant...

  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par Rachel ERTEL
    • 12 469 mots
    • 15 médias
    ...qui n'ont pas fait l'expérience des camps, toute tentative de représentation mimétique semble indécente. Prime alors la recherche de formes indirectes. On trouve une première allusion peut-être dans Dangling Man (1944) de Saul Bellow, avec ces hommes égorgés à Bucarest par les Gardes de fer, puis pendus...

Voir aussi