SANTÉ PUBLIQUE
L’efficacité des politiques de santé publique en question
Pendant un siècle environ (1850-1950), les progrès de la médecine et une meilleure gouvernance des villes ont été tenus pour les facteurs les plus importants du recul des grandes maladies infectieuses et de la mortalité. Thomas McKeown (1912-1988), professeur de médecine sociale à l’université de Birmingham, s’est inscrit en faux contre ces idées largement partagées. Il s’est tout particulièrement intéressé à la question de l’efficacité des politiques de santé publique développées aux xixe et xxe siècles et des apports de toute la médecine, ainsi que des politiques municipales de santé publique à la disparition des grandes affections. Ses travaux ont été conduits des années 1960 à la fin des années 1970, à l’époque où l’horizon historique d’éradication des maladies infectieuses atteint son paroxysme. Thomas McKeown, à partir d’un traitement statistique des données anglaises, montre que la part de la mortalité liée à des maladies infectieuses diminue avant la découverte des traitements efficaces et l’extension des vaccinations spécifiques. Il suit la mortalité qui résulte de plusieurs causes de décès, tout particulièrement de la tuberculose et de la variole. Après avoir énuméré et testé les possibles facteurs explicatifs de ces baisses, il ne retient que l’amélioration du régime alimentaire qui rend les organismes plus résistants aux atteintes microbiennes. Cette thèse s’impose avec facilité, en particulier parmi les médecins exerçant auprès de populations défavorisées. Mais elle est largement contestée par les historiens, qui soulignent des biais importants de méthode : l’absence de distinction des populations urbaines et des populations rurales, la non-prise en compte d’une ventilation par âge et par sexe des décès, des agrégations de données erronées... Les principales causes de décès retenues ne représentent qu’un tiers de la mortalité totale en 1851-1860 et seulement un sixième à la fin du xixe siècle. La stabilité des autres causes n’est que le résultat trompeur de l’évolution à la hausse et à la baisse de plusieurs d’entre elles. Si l’on redresse ces erreurs, la part de la diminution des cas de tuberculose n’est plus responsable que de 35 % de l’accroissement de l’espérance de vie et non de 47 % comme McKeown le soutenait. À une époque où la santé de chacun est menacée par la présence de maladies infectieuses, la maîtrise des maladies liées aux défauts d’assainissement s’en trouve réévaluée. Le recul de la mortalité urbaine serait donc tout particulièrement le résultat de politiques municipales très déterminées, ce que McKeown reconnaît dans ses tout derniers travaux. Les recherches plus récentes mettent en évidence les effets des conditions de vie au cours de la petite enfance sur la suite du parcours de vie ; elles permettent d’avancer que la meilleure résistance des organismes face à la tuberculose peut aussi provenir des effets différés de la disparition d’une partie des attaques infectieuses qui entraînent un affaiblissement des organismes. Tout particulièrement, la vaccination antivariolique, qui s’étend partout en Europe au cours des quarante dernières années du xixe siècle, évite aussi aux enfants d’être affaiblis.
L’accroissement temporaire de la mortalité urbaine dans les grandes villes européennes lors de leur croissance (souvent à cause de leur industrialisation) est pour l’essentiel le résultat d’une absence de maîtrise de l’environnement et des conditions de vie d’un prolétariat nouvellement urbain, et misérable. La baisse de la mortalité s’interrompt ainsi pour l’ensemble des villes anglaises entre 1820 et 1870. À l’échelle locale, l’espérance de vie baisse souvent de huit à dix ans au cours de la période de forte croissance démographique des villes industrielles (Le[...]
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Écrit par
- Patrice BOURDELAIS : directeur d'études émérite à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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