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MOUSNIER ROLAND (1907-1993)

Roland Mousnier était l'une des figures marquantes de l'école historique française, et le type même du grand universitaire. Il était né à Paris le 7 septembre 1907, et ses études l'avaient mené de Janson-de-Sailly à la Sorbonne et à l'agrégation. Dès 1932, tout en enseignant au lycée Corneille de Rouen, il se consacra à la préparation de sa thèse ; avec un goût prononcé pour le droit et les institutions, il la fit porter sur La Vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, et la soutint en l945. Elle lui valut d'être nommé professeur à la faculté des lettres de Strasbourg en 1947, puis à celle de Paris en 1955 (où il enseignera pendant vingt-deux ans). Aux côtés de Victor-Lucien Tapié et d'Alphonse Dupront, il anima le Centre de recherches sur la civilisation de l'Europe moderne qu'il avait fondé de haute lutte en 1958 et qu'il dirigea jusqu'en 1977.

Enseignant de grande qualité, il privilégiait encore plus la recherche, qu'il aimait avec passion et à laquelle il associait ses étudiants. La formule du « séminaire de recherche » a été depuis tellement galvaudée qu'on n'hésite pas à dire que le sien n'avait rien à voir avec ceux d'aujourd'hui. Quel que soit le sujet de maîtrise ou de doctorat propre à chacun, Roland Mousnier définissait un thème de recherche collective avec partage du travail entre lui-même et tous les participants. L'enquête progressait d'exposés en discussions, faisant du séminaire un véritable laboratoire d'idées. Nombre de professeurs d'université, aujourd'hui justement réputés, lui doivent le meilleur de leur inspiration.

C'est dans les années 1964-1974 que Roland Mousnier écrivit ses plus grands livres : Lettres et mémoires adressés au chancelier Séguier (1964), L'Assassinat d'Henri IV (1964), Fureurs paysannes (1968), Les Hiérarchies sociales de 1450 à nos jours (1969), Les Institutions de la France sous la monarchie absolue (t. I, 1974 ; t. II, 1980). Son nom reste lié à l'interprétation des révoltes antifiscales dites « populaires » : contre le point de vue marxiste, défendu par l'historien russe Boris Porchnev, Roland Mousnier a soutenu que toutes ces révoltes, urbaines ou rurales, n'ont rien de spontané et ne reflètent pas l'existence d'un front de classes entre d'un côté les pauvres et, de l'autre, les nobles liés à l'appareil d'État ; tout au contraire, ces « émotions » et « séditions » découlent des liens de fidélité ou de clientèle qui traversent les différentes strates sociales ; l'insurrection part du haut de la société (nobles, parlementaires) et traduit une réaction de privilégiés contre la croissante pression fiscale de l'État (imposée elle-même par l'effort de guerre contre l'Espagne).

La retraite venue, Roland Mousnier n'a pas ralenti son activité, présidant d'importants colloques (sur Colbert en 1983, Richelieu en 1985) et publiant encore, à la veille de sa mort, une grandiose biographie de Richelieu (L'Homme rouge, 1992).

Érudit scrupuleux et tout à la fois hardi brasseur d'idées, nul mieux que lui n'a pénétré les ressorts mentaux de la société française de l'Ancien Régime ; le dit et le non-dit lui importaient autant, et l'on ne peut qu'admirer sa méthode d'investigation des textes. Reste qu'il citait plus volontiers Fustel de Coulanges ou Olivier-Martin que Lucien Febvre. Il n'a jamais écrit dans les Annales et, le recul aidant, on comprend mieux cette réserve, gage d'originalité et d'authenticité.

Homme de caractère, homme de devoir, administrateur-né, ayant le sens de la chose publique, il a courageusement tenu la barre en 1968. Défendant l'honneur universitaire et le patrimoine commun, il n'en a[...]

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Pour citer cet article

Jean-Louis BOURGEON. MOUSNIER ROLAND (1907-1993) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANCIEN RÉGIME

    • Écrit par Jean MEYER
    • 19 103 mots
    • 3 médias
    Les brillantes études de R. Mousnier ont démontré l'ancienneté de l'idée de la monarchie absolue, qui remonterait au xiie siècle. L'absolutisme doctrinal du Moyen Âge ne se réalise cependant « que de façon momentanée, non continue, intermittente ». La « modernité », toute relative,...