FLAHERTY ROBERT (1884-1951)
Robert Flaherty, explorateur à ses débuts, est considéré comme le père du documentaire cinématographique. Son premier film, Nanook of the North (Nanouk l'esquimau, 1922), tourné chez les Inuits, obtint un succès mondial, de même que le dernier, Louisiana Story (1946). Après Moana (1926), tourné aux îles Samoa, Flaherty, incompris des producteurs, des milieux du cinéma et du public, réalisa plusieurs films de commande, mais aussi un chef-d'œuvre : Man of Aran (1934). Ces quatre films, malgré une carrière difficile, ont suffi à établir la gloire et la singularité d'un cinéaste de génie.
Une relation personnelle au monde
Le père de Flaherty, d'origine irlandaise, émigre au Canada, où il se lance dans l'exploitation minière avant de tenter sa chance vers l'ouest. Le jeune Robert, entraîné par ses récits, va vivre une année parmi les mineurs et les prospecteurs, fréquentant le campement indien voisin, rêvant des immenses paysages du nord. Prospecteur d'or, il entreprend la première de ses cinq expéditions d'exploration (1910-1916). Lors d'un voyage, il emporte une caméra. À son retour, il passe un hiver à faire un montage, mais le négatif est détruit accidentellement. Flaherty, insatisfait de cette première tentative, qui privilégiait le pittoresque, rencontre un représentant de la maison Révillon Frères, qui souhaitait concurrencer la Hudson's Bay Company dans le commerce des fourrures. Un film sur les esquimaux pouvait devenir un moyen de publicité : ainsi naquit Nanook of the North.
« Cette fois, il emportait des appareils pour développer, tirer et projeter ses films, en sorte qu'il pouvait voir ce qu'il prenait au fur et à mesure, savoir ce que la caméra donnait, ce qu'elle pouvait faire, connaître la nature de sa nouvelle machine » (Frances Flaherty). Vivant avec les Inuits, dans les mêmes conditions, Flaherty met au point sa méthode, basée sur la connaissance du milieu naturel et humain. Nanouk et ses amis participèrent activement à la réalisation du film. Présenté à New York en juin 1922, celui-ci remporta un énorme succès. Hollywood sentit le filon, susceptible d'être exploité en d'autres lieux où subsistait une nature sauvage.
Flaherty part alors vers les îles Samoa, à la recherche d'un Nanouk du sud, luttant pour sa survie, affrontant les tempêtes, les pieuvres ou les requins, là où l'homme devait mener une lutte intense. Mais il réalise vite qu'on n'arrive pas dans une société avec un schéma élaboré ailleurs, sans avoir vécu et étudié son mode de vie, ses mœurs et ses représentations. Le drame de Samoa, ce n'est pas la lutte contre la nature généreuse, c'est, pour les jeunes gens, franchir une épreuve initiatique qui corrige la facilité de la vie. Il fallut à Flaherty et sa femme pas moins de deux ans de vie sur place pour réaliser Moana.
Des anthropologues l'accusèrent de s'attacher à un passé révolu, à un ancien rite aujourd'hui abandonné. Malgré les réticences des distributeurs, le film fut présenté au public à New York en 1926. Flaherty abordait la période des revers, amorcée dès 1925, avec deux petits films tournés en Polynésie : The Potterymaker (1925) et The Twenty-Four Dollar Island (1927).
Désormais étiqueté cinéaste des « mers du sud », Flaherty est sollicité pour adapter un roman de Frederick O'Brien, White Shadows in the South Seas, en collaboration avec W.-S. van Dyke. À cause d'une divergence de conception, il abandonne le tournage au milieu du film qui sort en 1928. Il revient vers le Pacifique, associé cette fois à F.-W. Murnau. Mais entre Murnau, imprégné des méthodes de tournage en studio, et Flaherty, fidèle à ses conceptions, le conflit est inévitable. Le film, Tabu : a Story of the South Seas, sort en 1931.
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Écrit par
- Guy GAUTHIER : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Média
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