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RÉVOLUTION

Une révolution matérielle de portée mondiale

Rosa Luxemburg, Lénine, Gramsci, Trotski s'attacheront à donner à cette découverte « révolutionnaire » une portée mondiale, tant théoriquement que pratiquement. Les combattants d'Amérique, d'Afrique, du Moyen-Orient s'efforceront de l'adapter aux circonstances particulières (et particulièrement difficiles) de leurs luttes. Mao Zedong, de la « longue marche » à la « révolution culturelle », mettra en évidence le fait que l'authentique relation de la théorie et de la pratique est d'ordre pratique (retrouvant ainsi l'indication de Thucydide selon laquelle le discours n'est jamais qu'une manière directe ou « différente » de ponctuer l'action). En tout cas, meilleure clarté est faite. Le concept de révolution ne s'institue comme force de transformation qu'à partir du moment où l'histoire cesse d'être pensée comme philosophie.

Le platonisme-christianisme a défini un horizon dont il importe de détruire l'apparente cohérence : il n'y a pas de passé immémorial, où le tout serait somptueux (ou foisonnant, ou pur) ; il n'y a pas de coupure absolue qui permettrait de sauter à pieds joints, pourvu qu'on s'y résolve, dans la sérénité du droit historique : le « combat douteux » continue, indéfiniment ; il n'y a pas, non plus, de retombée nécessaire qui contraindrait l'humanité à revivre un identique destin : le sempiternel retour des problèmes ne signifie pas l'éternelle réitération des solutions.

Si l'idée de révolution a une consistance, c'est qu'elle implique celle de lutte. L'important est alors de savoir à quel niveau de la réalité se situe cette lutte. Il apparaît bien que Marx et Engels ont apporté, à cet égard, l'intelligibilité maximale... Il va de soi que l'introduction de la monnaie au viie ou vie siècle avant J.-C. dans le bassin oriental de la Méditerranée est une transformation décisive, tout autant que l'invention du gouvernail, la culture de la pomme de terre, le suffrage universel, La Critique de la raison pure, la généralisation du métier à tisser mécanique, la mise en vente libre des produits contraceptifs ou le principe du libre droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ces diverses « révolutions » – y compris celles qu'aujourd'hui on entoure d'une sacralité suspecte (Copernic, Galilée, Newton, Lavoisier, Laplace..., Einstein), tant est puissante l'idéologie de la science – ne sont révolutionnaires qu'autant qu'elles militent, directement ou indirectement, pour l'émancipation des masses.

Y a-t-il, par exemple, une « révolution freudienne » ? La question est abstraite. Il s'agit de déterminer, ici et maintenant, dans les limites d'un contrôle strict, de quelle manière et selon quel objectif la lutte des opprimés peut s'emparer et faire valoir les résultats d'une recherche incontestablement réaliste. Il est de fait que la révolution réelle est l'affaire des forces historiques ; aux recherches théoriques de fournir à celles-ci les principes et les éléments leur permettant d'être plus efficaces.

Bref, il n'est de révolution que matérielle. Les autres « révolutions », pour importantes qu'elles puissent être, ne le sont que par métaphore ; elles n'en sont pas moins utilisables par la révolution. Ainsi en est-il des mutations scientifico-techniques, théoriques, artistiques ou idéologiques.

— François CHÂTELET

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de philosophie à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

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Pour citer cet article

François CHÂTELET. RÉVOLUTION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Engels - crédits : Edward Gooch/ Getty Images

Engels

Autres références

  • BALL JOHN (mort en 1381)

    • Écrit par Roland MARX
    • 296 mots

    La plupart des chroniques, dont celle de Froissart, présentent John Ball comme l'un des grands responsables du soulèvement des paysans et des artisans en Angleterre en 1381. Peut-être, disciple de John Wyclif, aurait-il été l'un des pauvres prêtres vagabonds répandant la parole du maître, mais en...

  • BAUER OTTO (1881-1938)

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 656 mots

    Tenu pour un des plus éminents représentants de l'austro-marxisme, Otto Bauer s'inscrit dans la lignée antidogmatique de la pensée marxiste en s'efforçant de créer une troisième voie entre le bolchevisme et la social-démocratie.

    Né à Vienne d'une famille originaire de...

  • BELLEGARIGUE ANSELME (XIXe s.)

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 606 mots

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