RÉVOLUTION
L'élaboration théorique
Une pensée pauvre
Si l'on en croit les légitimations théoriques (ou les déclarations politiques) qui préparèrent, annoncèrent ou justifièrent l'action révolutionnaire, c'est au sein de ce triangle malheur-rupture-menace que s'est construite l'idée de révolution (de Platon à Mao Zedong, en passant par Rousseau, Robespierre, Marx et Trotski). En vérité, la pensée de la révolution est théoriquement pauvre ; elle n'a de résonance réelle que spéculative – en ce cas, le réel n'est que la projection de l'imaginaire ; il en est ainsi de ce que Marx et Engels ont appelé le « socialisme utopique » – ou circonstancielle. En cette éventualité, n'importe quelle transposition idéologique est correcte pourvu qu'elle soit provisoirement efficace. On comprend la rage méticuleuse et insistante que manifeste Fourier face aux doctrinaires de la Révolution française, de quelque bord qu'ils se réclament ! Fourier n'accepte point que soit donné nécessairement un malheur initial qu'il y aurait d'abord à conjurer ; il ne conçoit l'opération de rupture que comme transformation radicale de l'analyse politique. Il faut en venir enfin à l'essentiel, c'est-à-dire à l'organisation réaliste de la dispersion des passions humaines, dans la géographie du corps social comme dans l'histoire individuelle. La fin de cette organisation est de faire apparaître la possibilité de communautés enfin libres. L'Harmonie (dont le Nouveau Monde amoureux est probablement l'expression la plus achevée) est l'ordre méticuleux et cependant constamment ouvert qui combine le plein épanouissement des passions individuelles et le fait (pourquoi pas joyeux ?) de la vie sociale.
La prodigieuse rêverie de Fourier – qui pose, positivement, la configuration du « bonheur dans la dispersion », comme Sade la posait négativement – a cet étrange mérite de rompre complètement avec le platonisme-christianisme qui inspire, directement ou à rebours, les philosophies de l'histoire progressistes ou révolutionnaires. À cet égard, elle nous est encore pratiquement incompréhensible, sinon par bribes. Toutefois, elle a en commun avec la conception que le socialisme scientifique de Marx et Engels a donnée de la révolution ceci, qui nous la rend plus intelligible : la perspective révolutionnaire authentique – c'est-à-dire efficace – suppose un déplacement foncier. La conscience politique, celle qui lance les masses courageuses à l'assaut des citadelles de l'injustice et de la répression, est un produit ; elle seule est réellement agissante ; mais pour qu'elle soit triomphante, il importe qu'elle connaisse de quoi elle est effet.
Marx et Engels
Les premiers, Marx et Engels tirent les conclusions de deux « révolutions » effectives : l'industrielle, qui a commencé en Angleterre dès le milieu du xviiie siècle et qui a révélé l'importance historique du développement des forces productives ; la politique, qui est à la fois épanouie et étouffée, en France, de Robespierre à Napoléon Bonaparte. Ils définissent alors le concept de révolution. Celle-ci, objectivement analysée, s'inscrit dans l'ordre économique : elle n'intervient, elle n'est actuelle, que lorsque l'ordre des forces productives – l'évolution normale des productions technico-sociales – entre en contradiction avec l'ordre des rapports de production – l'organisation de la propriété –, c'est-à-dire la relation historique existant entre ceux qui détiennent, d'une manière ou d'une autre, les moyens de production sociaux et ceux qui, pour survivre, doivent aliéner leur force de travail.
Ainsi, la « cause » de la révolution est toujours de nature économique. Le devenir des[...]
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Écrit par
- François CHÂTELET : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de philosophie à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis
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Pour citer cet article
François CHÂTELET, « RÉVOLUTION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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