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BELLEGARIGUE ANSELME (XIXe s.)

N'étant le plus souvent connu que par le titre de son éphémère journal, L'Anarchie, journal de l'ordre, Bellegarigue mériterait que l'on s'attachât davantage à sa singulière personnalité. Sa conception éclaire en effet la frontière, à laquelle il se situe, entre la pratique libertaire et l'idéologie libérale, fondée non sur l'émancipation de l'individu mais sur l'individualisme et la libre entreprise.

On ignore la date et le lieu de sa naissance, mais on peut estimer à vingt-cinq ans l'âge de ce jeune homme qui, arrivé des États-Unis le 23 février 1848, la veille de l'insurrection, fait le lendemain à un jeune ouvrier en armes, qui disait : « Cette fois, on ne nous la volera pas, notre victoire », cette réponse : « Ah ! mon ami, la victoire, on vous l'a déjà volée, n'avez-vous pas nommé un gouvernement ? »

De son séjour aux États-Unis, il rapporte une conversation avec le président démocrate Polk — dans laquelle il critique vivement la notion de république — et un témoignage, qu'il publiera en 1853, sur les Femmes d'Amérique. Sa première brochure, Au fait, au fait !, paraît à Paris et à Toulouse à la fin de l'année 1848. Il y développe une conception plus proche des girondins que de l'anarchie. Une véritable révolution démocratique doit être française et non pas parisienne : « Elle arrachera la France à Paris pour la ramener dans la municipalité. Alors la souveraineté nationale sera un fait, car elle sera fondée sur la souveraineté de la commune. » En 1849, il mène campagne contre l'État dans le quotidien toulousain La Civilisation. Il fonde, en 1850, l'Association des libres penseurs, que la répression policière dispersera, et publie une brochure, Jean Mouton et le percepteur. L'Anarchie, journal de l'ordre n'aura que deux numéros. C'est un manifeste du libéralisme anti-étatique : « [L'individu] travaille, donc il spécule. Il spécule, donc il gagne ; il gagne, donc il possède ; il possède, donc il est libre. Il s'institue en opposition de principe avec l'État par la possession, car la logique d'État exclut rigoureusement la possession individuelle... La liberté commence avec le premier écu. » Anselme Bellegarigue a des accents qui annoncent Max Stirner : « Je nie tout ; je n'affirme que moi. Car la seule vérité qui me soit démontrée matériellement et moralement par des preuves sensibles, appréhensibles et intelligibles, la seule vérité vraie, frappante, non arbitraire et non sujette à interprétation, c'est moi. Je suis : voilà un fait positif. Tout le reste est abstrait et tombe dans l'x mathématique, dans l'inconnu : je n'ai pas à m'en occuper. Je n'ai pas d'ancêtres ; je suis le premier homme, je serai le dernier ; le monde commence à ma naissance ; il finit à ma mort. » Comme chez Stirner, le moi est traité, en fait, comme une catégorie abstraite, comme s'il n'était pas le lieu privilégié de l'aliénation, le premier champ de bataille où les pulsions de vie tentent de s'émanciper de l'esprit d'économie, qui les contraint.

Lors du coup d'État de 1851, Bellegarigue quitte la France, sans avoir publié, semble-t-il, l'Almanach de l'anarchie, annoncé par son ami Pic du Gers dans l'Almanach de la vile multitude, par un de ses membres. Dès lors sa trace se perd. On croit qu'il fut instituteur au Honduras et, par une ironique et prévisible destinée, ministre à San Salvador.

— Raoul VANEIGEM

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Raoul VANEIGEM. BELLEGARIGUE ANSELME (XIXe s.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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