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RESPONSABILITÉ SOCIALE DES SCIENTIFIQUES

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Qui est responsable ? Et de quoi ?

Le modèle scientifique créé au xxe siècle impliquait un lien étroit entre recherche publique d'État, investigations à visée cognitive et contributions au progrès économique et social, grâce à la mise à disposition des connaissances. Depuis la fin des années 1980, ce modèle a été ébranlé par la multiplication des contrats industriels, par la création de véritables marchés scientifiques (brevets, entreprises « innovantes »), par l'intrication de plus en plus étroite avec les industriels et les militaires. C'est ainsi que la science contemporaine, souvent désignée comme « technoscience », a promu une nouvelle condition pour la recherche elle-même et pour le métier de chercheur. Il n'y a plus de savant isolé dans sa tour d'ivoire mais des équipes, souvent multidisciplinaires, en compétition féroce avec d'autres équipes. La principale collaboration assumée entre les scientifiques internationaux consiste à faire valoir une déontologie commune et à évaluer les nouveaux apports pour retenir ceux qui méritent publication. Mais cette évaluation par les pairs ne prend jamais en compte la responsabilité engagée par certaines voies scientifiques. Si bien que, pour des raisons différentes, le scientifique ou son institution négligent ce que le public croit être la responsabilité de la machine à chercher. Du moins est-il exceptionnel que l'inquiétude éthique s'empare du monde de la recherche au-delà des préoccupations légales ou pénales.

Les risques nouveaux, qui résultent en particulier de la recherche sur le noyau de la matière (physique nucléaire) ou le noyau de la cellule vivante (génétique), ont amené le philosophe allemand Hans Jonas à s'interroger (Le Principe responsabilité, 1990) : « La terre nouvelle de la pratique collective, dans laquelle nous sommes entrés avec la technologie de pointe, est encore une terre vierge de la théorie éthique [...] Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! », et il propose une « heuristique de la peur » en précisant que « seule la prévision de la déformation de l'homme nous fournit le concept de l'homme qui permet de nous en prémunir ». Prévoyant que la critique lui reprocherait de céder à une peur pathologique interdisant toute action, Jonas précise : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n'est pas celle qui déconseille d'agir, mais celle qui invite à agir ; cette peur que nous visons est la peur pour l'objet de la responsabilité ». Il anticipait par là ce qu'on nommera plus tard le « principe de précaution », lequel n'a rien à voir avec le refus pétrifié de toute nouvelle technologie. Pourtant, la mise en place du principe juridique de précaution a évincé le principe moral de responsabilité dont il n'est qu'une figure gestionnaire. C'est pourquoi Hans Jonas admettait parmi les solutions éthiques l'abandon pur et simple d'un projet, alors que la précaution actuelle conduit plutôt à le différer ou seulement à en aménager les conditions d'usage. C'est que, à supposer qu'une innovation technologique se trouve exonérée de tout risque potentiel selon le principe de précaution, ce verdict ne peut suffire pour justifier son usage en pleine responsabilité, en particulier au regard de l'éthique ou du développement durable, qui exigent d'autres préoccupations : quels effets sur le développement ? la nature ? l'équité sociale ? les droits de l'homme ? l'emploi ? la solidarité régionale ? les relations Nord-Sud ? etc. Les nouvelles valeurs de la mondialisation économique (compétitivité, libre-échange, investissement, productivisme, progrès technologique) sont incompatibles avec le principe de précaution, et de ce fait peinent à l'assumer, comme l'a montré la[...]

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Jacques TESTART. RESPONSABILITÉ SOCIALE DES SCIENTIFIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2009

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Ernest Renan - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Ernest Renan

Membres du mouvement raélien lors d'une cérémonie à Rome le 12 décembre 2004 - crédits : Alberto Pizzoli/ AFP

Membres du mouvement raélien lors d'une cérémonie à Rome le 12 décembre 2004

Hwang Woo-suk lors d'une conférence de presse à Séoul, le 12 janvier 2006 - crédits : Jung Yeon-Je/ AFP

Hwang Woo-suk lors d'une conférence de presse à Séoul, le 12 janvier 2006