- 1. Écrire québécois
- 2. L'écrivain et la langue
- 3. Une poésie de résistance
- 4. Privilège de l'oralité
- 5. Naissance d'un théâtre
- 6. Vitalité du roman
- 7. Une littérature en fusion
- 8. Le roman : des écritures migrantes à la question des territoires
- 9. Le théâtre, en quête de nouvelles origines
- 10. La poésie, éternellement à réinventer
- 11. Bibliographie
QUÉBEC Littérature
Depuis les années 1960, la littérature québécoise a tracé sa voie en parvenant à s’affranchir de l’influence française tout en résistant à la domination anglo-saxonne, jusqu’à devenir une littérature ouverte sur le monde, à l’image d’une société qui s’est enrichie par son métissage.
À l’instar des profondes transformations (économiques, sociales, politiques…) que connaît le Québec moderne à partir de la « révolution tranquille », soit au tournant des années 1950, son paysage littéraire se voit remarquablement bouleversé. Différentes causes participent à l’émancipation des écrivains du « pays de l’hiver » dont le dénominateur commun demeure toutefois « l’intranquillité ».
En effet, la prise de conscience du péril linguistique, sur un continent très majoritairement anglophone, appelle les auteurs à défendre, au-delà de la seule langue française, une forme d’exception culturelle. Au niveau de l’intelligentsia, le combat prioritaire reste d’ailleurs l’indépendance, combat que les référendums perdus de 1980 et 1995 autour du projet de souveraineté québécoise finiront par estomper.
De fait, en plus d’un demi-siècle, le Québec littéraire s’est largement nourri de l’effervescence politique. Chaque écrivain a participé singulièrement aux bouleversements collectifs d’une société désireuse de rompre à la fois avec des crédos archaïsants comme « notre maître le passé » et avec la chape de plomb du catholicisme ultramontain, qu’il s’agisse de Réjean Ducharme, Gaston Miron, Michel Tremblay ou d’autres, qui ont contribué à asseoir cette nouvelle littérature québécoise.
Ce Québec littéraire se retrouve d’autant plus revigoré à partir des années 1980 que de nouveaux auteurs issus de l’immigration viennent frapper à la porte des maisons d’édition. Que l’on songe à Dany Laferrière, Haïtien d’origine, ou au Libano-Québécois Wajdi Mouawad, il n’est désormais plus question de se limiter à une « autocentration » sur le cas québécois. À l’inverse, il s’agit, pour reprendre les mots de l’écrivain français Édouard Glissant, de s’engager dans une « poétique de la relation » (1990), ce qui suppose d’admettre le passage des « cultures ataviques » aux « cultures composites ».
Cette logique d’enrichissement mutuel a été très prégnante dans l’évolution de la littérature québécoise, qui a notamment su faire une place de plus en plus importante aux femmes et aux causes qui les animent : en témoigne le retentissement des pièces de Carole Fréchette (La Peau d’Élisa, 1996) et de la poésie d’Hélène Dorion (Mes Forêts, 2021).
Depuis le début du xxie siècle, il apparaît par ailleurs clair que la littérature québécoise tend à se réapproprier l’histoire et la géographie amérindiennes, qui préexistaient au Canada français. Aussi, à l’exemple de la poétesse Joséphine Bacon, des romanciers Naomi Fontaine ou Michel Jean, des auteurs d’ascendance amérindienne ont réussi à s’imposer dans le monde littéraire québécois et, plus largement, francophone. Par là même, ils ont invité les écrivains « légitimes », ceux issus de l’implantation française et européenne, à repenser l’histoire du Québec en fonction d’autres origines que la découverte du territoire par Jacques Cartier, en 1534.
Portées par un questionnement écologique de plus en plus vif, des figures telles qu’Éric Plamondon (Taqawan, 2017), Anaïs Barbeau-Lavalette (La femme qui fuit, 2015) ou encore Gabrielle Filteau-Chiba (Encabanée, 2018) ont contribué à faire de la littérature québécoise un laboratoire d’idées et de formes en phase avec les préoccupations de l’anthropocène.
Écrire québécois
L'écrivain québécois écrit pour « vivre québécois » : il « vécrit », selon le mot-valise du romancier Jacques Godbout, pour dire l'indissociation de la littérature et d'un projet vital dans le contexte d'une quête d'identité nationale. La vie littéraire québécoise, sous-tendue par le projet d'une nation à affirmer, vise à manifester sa différence et son autonomie. Et ce, même si les interférences restent nombreuses avec la littérature française, si certains écrivains québécois choisissent de se faire publier d'abord à Paris et si l'édition française demeure économiquement dominante au Québec.
Au reste, une situation homologue prévaut dans les autres foyers francophones du Canada (en Acadie, en Ontario et dans les autres provinces de l'Ouest) qui réclament aussi leur autonomie littéraire. Néanmoins, leurs écrivains les plus en vue, comme Gabrielle Roy, née au Manitoba, ou l'Acadienne Antonine Maillet, restent attirés par le rayonnement littéraire québécois.
Parmi les conditions qui favorisent l'autonomie de la circulation littéraire québécoise, il faut d'abord souligner l'existence d'un important lectorat potentiel – on compte, en 2021, plus de 6,5 millions de francophones au Québec, et plus de 1 million, dans le reste du Canada – et la constitution d'une véritable classe d'intellectuels, trouvant des tribunes dans la presse et les médias audiovisuels, le dynamisme des nombreux éditeurs locaux, souvent soutenus par des subventions publiques, et la vitalité des revues. La laïcisation de l'enseignement, qui échappe au contrôle de l'Église à partir de 1964, a joué ici un rôle essentiel, en permettant l'essor d'un réseau universitaire moderne, tandis que l'aménagement des programmes donnait une place croissante à la littérature québécoise dans la formation des jeunes générations.
Les lignes de rupture d'où devait naître le Québec moderne sont apparues dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Manifeste de l'automatisme pictural de Paul-Émile Borduas (1905-1960), Refus global rendit explicite, en 1948, le profond désir de table rase : le texte dénonçait le rôle hégémonique de l'Église catholique dans la vie et la pensée québécoises. Il prônait, dans la ligne du surréalisme, le dépassement de la séparation postcartésienne entre raison et inconscient et suggérait une conception du rôle politique de l'art qui tournait le dos à l'orthodoxie marxiste-léniniste – l'artiste travaille à la « transformation continue » du présent par l'imprévisible passion.
La mutation idéologique, marquée par le développement des sciences humaines, les interrogations des intellectuels chrétiens, l'émergence des idées indépendantistes s'expriment dans la presse (les éditoriaux du quotidien montréalais Le Devoir sont très lus) et à travers la continuelle éclosion des revues : Cité libre, Révolution québécoise, Parti pris, revue phare de l'intelligentsia québécoise à partir de 1963, relayée ensuite par Québec-Presse, Mainmise, Presqu'Amérique, La Barre du jour, Estuaires, Possibles et bien d'autres... En 1960, le succès de librairie du pamphlet de Jean-Paul Desbiens (1927-2006), Les Insolences du frère Untel, vive attaque contre la sclérose du système d'enseignement et l'abâtardissement de la langue, met la question linguistique à l'ordre du jour.
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Écrit par
- Jean-Louis JOUBERT : professeur à l'université de Paris-XIII
- Antony SORON : maître de conférences, habilité à diriger des recherches, formateur agrégé de lettres à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation, Sorbonne université
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Médias
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