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DUCHARME RÉJEAN (1941-2017)

Né le 12 août 1941 à Saint-Félix-de-Valois, au Québec, Réjean Ducharme, après des études au juvénat des clercs de Saint-Viateur-de-Berthiéville et à l'École polytechnique de Montréal, exerce différents métiers et puis, pris de bougeotte, voyage pendant trois ans au Canada, aux États-Unis et au Mexique.

Dans ses livres, il ne cherche pas à développer une intrigue suivie. L'absence de continuité lui permet d'exprimer plus facilement ses vues sur le monde, les hommes et la vie en général et, surtout, de crier ses émotions par le truchement de personnages qui tantôt philosophent en divaguant, tantôt divaguent philosophiquement. Les mêmes thèmes, peu nombreux, réapparaissent d'un ouvrage à l'autre, mais toujours renouvelés par l'écriture. Le thème favori de Ducharme est le monde de l'enfance où tout serait merveilleux, pur et simple, si les adultes, sous le prétexte d'agir en bons protecteurs, ne s'ingéniaient pas à le détruire par leurs interventions malfaisantes.

Son premier roman, L'Avalée des avalés (1966), présente un personnage peu ordinaire, Bérénice Einberg, qui tient le rôle de narratrice ; celle-ci, une fillette de neuf ans, est une philosophe de génie qui a découvert toute seule que l'existence n'est qu'un vide, que rien n'a de sens et qu'il est inutile d'espérer quoi que ce soit. Comme elle n'accepte pas de jouer le jeu de l'hypocrisie et du conformisme, et ne se contente pas d'apparences, elle a choisi une attitude de refus systématique pour éviter d'être « avalée » par les autres. Tant pis pour eux si « eux » ont été avalés. Elle s'est ainsi condamnée à un état de solitude et de peur qui est remarquablement décrit dans les premières pages du livre, et dont elle ne peut — ou ne veut — pas sortir. Bérénice vit pourtant avec sa famille : un frère, une poule mouillée qui accepte tout, et des parents qui se détestent et ne cessent de se disputer, ce qui met la fillette en joie. Bientôt, dire « non » lui semble insuffisant ; la provocation et la révolte l'amusent beaucoup plus. « Vacherie de vacherie ! », hurle-t-elle quand les choses vont mal. Le personnage est tout en antithèses : innocente et machiavélique, tendre et sadique, douce et brutale, elle ne s'embarrasse d'aucune subtilité. À la fin du livre, elle a seize ans ; le lecteur n'a pas perçu le passage du temps, Bérénice non plus, elle reste pareille à elle-même.

L'écriture de Ducharme, puissante et originale, ajoute à la qualité de ses ouvrages, mais d'une manière inattendue : sa force surprend et déroute, en même temps qu'elle intrigue et intoxique. Ce débagoulinage incontrôlé, ces fantaisies bizarres, ces changements de direction imprévus, compliqués par un mélange savant de trois aspects du temps, en constituent les éléments majeurs. Il faut y ajouter la variété des tons et des styles qui vont de la langue populaire à l'élégance classique.

Ducharme aime jouer avec les noms des personnages. Bérénice, qui hait sa mère, l'appelle « Chat mort », puis « Chameau mort », bientôt transformé en « Chamomor ». Un personnage, Constance Chlore, devient Constance Exsangue après sa mort.

Ducharme aime également jouer avec les titres : Le Nez qui voque (1967), Les Enfantômes (1976), Ines Pérée et Inat Tendu (1976), pour ne citer que ceux-là.

Quand il joue ainsi avec le langage, Ducharme ne veut pas obtenir des effets comiques. Il ne cherche pas, en effet, à être drôle : pour lui, le langage n'est qu'un outil destiné à renforcer ce qu'il dit. Lorsqu'il écrit : « ... le mon dentier... » ou « disse d'un cou... j'ai la boce de la chace... », les changements orthographiques donnent aux mots une apparence nouvelle qui leur fait perdre leur sens. Pour qu'ils retrouvent leur signification, il faut les prononcer.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université Carleton, Ottawa, Canada

Classification

Autres références

  • QUÉBEC - Littérature

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    • 11 161 mots
    • 9 médias
    Réjean Ducharme (1942-2017), écrivain secret et peintre (sous le pseudonyme de Roch Plante) jouant avec des objets récupérés, est un virtuose de l’invention verbale, ou plus exactement de la désagrégation des mots en séries vertigineuses de coq-à-l’âne, d’à-peu-près, de calembours. Il fait exploser la...