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QU YUAN[K'IU YUAN](IVe-IIIe s. av. J.-C.)

Une gloire fidèle et croissante

L'alliance du génie littéraire avec le martyre politique l'a rendu cher aux poètes et aux hommes politiques chinois des époques suivantes. Au iie siècle avant J.-C., lorsque le jeune et brillant homme d'État Jia Yi fut banni après sa disgrâce au sud du fleuve Bleu, il écrivit une Lamentation sur la mort de Qu Yuan dont il jeta une copie dans la rivière où Qu Yuan s'était noyé, offrande à l'âme du poète mort. À peu près deux siècles plus tard, l'écrivain Yang Xiong fit de même en abandonnant à l'eau, en sacrifice, une copie de son long poème le Contre-Li sao. L'historien Sima Qian, qui lui-même subit la peine de castration pour avoir défendu une victime de la fureur déraisonnable de l'empereur, cita Qu Yuan en exemple prééminent de sa propre théorie selon laquelle la grande littérature est toujours un produit de la grande misère.

Au xxe siècle, pendant la guerre sino-japonaise, certains intellectuels chinois essayèrent de le transformer en symbole de la résistance en l'appelant « premier poète-patriote de la Chine » pour la raison quelque peu faible que, pendant sa vie, il s'opposa à la partie pro-Qin à la cour de Chu. En effet, il est extrêmement douteux qu'on aurait pu prévoir, à son époque, la conquête et l'annexion finales de Chu par Qin. De toute façon, les chroniques de cette période, qui ressemblent davantage à des romans qu'à des mémoires véritables, ne permettent pas qu'on s'y fie. Plus récemment, on a acclamé Qu Yuan comme « poète du peuple », apothéose assez extraordinaire pour cet aristocrate lettré qui fut exilé à cause d'une intrigue de cour. De tels efforts pour susciter la reconnaissance actuelle envers le fondateur de la poésie chinoise n'avancent guère la compréhension de ses poèmes. C'est plutôt par l'originalité de sa poésie et surtout par la forme spécifiquement littéraire qu'il a conférée à un art jusque-là oral et anonyme que Qu Yuan doit d'être rangé parmi les plus grands esprits créateurs et qu'il mérite une place d'honneur dans l'histoire de la littérature mondiale.

— David HAWKES

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Écrit par

  • : professeur à l'université d'Oxford (Royaume-Uni)

Classification

Pour citer cet article

David HAWKES. QU YUAN [K'IU YUAN] (IVe-IIIe s. av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature

    • Écrit par , , , , et
    • 47 508 mots
    • 3 médias
    ...l'allégorie qui nous intéresse ici. Le couple du prince et de son ministre y est représenté comme un couple d'amants. Voilà pourquoi les exilés politiques, tel Qu Yuan, le plus illustre de tous, ont si souvent déguisé leur ressentiment sous le voile d'une fiction sentimentale. L'exilé, rejeté par son prince,...
  • CHU CI [TCH'OU TS'EU]

    • Écrit par
    • 1 048 mots
    Wang Yi attribue sept des dix premiers à Qu Yuan (1. Li sao ; 2. Jiu ge ; 3. Tian wen ; 4. Jiu zhang ; 5. Yuan you ; 6. Bu ju ; 7. Yu fu), les deux suivants à Song Yu (8. Jiu bian ; 9. Zhao hun) ; l'auteur du dixième (10. Da zhao) reste incertain.
  • JIA YI [KIA YI] (201-169 av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 684 mots

    Le premier des auteurs connus de fuest Jia Yi, dont la biographie nous est retracée dans le Shi ji de Sima Qian, à la suite de celle de son grand modèle, QuYuan. L'historien nous trace les grandes lignes d'une existence qui a été, elle aussi, un archétype. Homme du nord de la Chine, Jia Yi...