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JIA YI[KIA YI](201-169 av. J.-C.)

Le premier des auteurs connus de fuest Jia Yi, dont la biographie nous est retracée dans le Shi ji de Sima Qian, à la suite de celle de son grand modèle, QuYuan. L'historien nous trace les grandes lignes d'une existence qui a été, elle aussi, un archétype. Homme du nord de la Chine, Jia Yi était capable à dix-huit ans de réciter les classiques des documents et de la poésie, et la renommée de son style s'était répandue dans les provinces. Il est alors recommandé à l'empereur Wen (~ 197-~ 157), souverain vertueux qui venait de monter sur le trône. Jia Yi est nommé « lettré au vaste savoir », c'est-à-dire chargé de répondre aux questions de l'empereur ou des ministres. Alors que les vieux maîtres n'osent pas parler, il ne craint pas de s'exprimer malgré son jeune âge, à la grande joie de l'empereur. Il est alors promu grand dignitaire du Palais, c'est-à-dire membre du Conseil privé de l'empereur. Dans sa première intervention, il propose une vaste réforme du calendrier, des règles vestimentaires, des noms des fonctionnaires, des rites et de la musique. Malgré les difficultés que présente la réalisation de ces propositions, l'empereur songe à le nommer prince de la Cour. Mais interviennent alors plusieurs seigneurs et hauts fonctionnaires qui, jaloux de Jia Yi, le calomnient auprès de l'empereur. Celui-ci les croit et exile Jia Yi en le nommant précepteur du fils du roi de Changsha, dans la région encore à peine chinoise du sud du Yangzi, considérée comme très insalubre.

Au cours de la première partie de sa vie, Jia Yi compose de courts essais moraux et politiques (gu wen), qui sont devenus des modèles du genre. Le plus célèbre sans doute est la « Dissertation sur les fautes des Qin », qui explique pourquoi la première dynastie impériale chinoise ne dura que quelques années. Ces courts essais ont été réunis dans un ouvrage appelé le Nouveau Livre. Arrivé à Changsha sur les bords de la Xiang, Jia Yi y retrouve le souvenir du poète Qu Yuan qui avait été, lui aussi, exilé dans cette région et dont la légende disait qu'il s'y était noyé volontairement, de désespoir. Il compose un « Fu de lamentation sur Qu Yuan » où, derrière les plaintes sur les malheurs de Qu Yuan, Jia Yi gémit sur sa propre infortune. Le poème est, bien qu'il porte le titre de fu, dans le style propre aux Chu ci, avec un lyrisme débordant, riche d'exclamations, d'images et d'évocations. Le mètre n'est pas tout à fait régulier, mais il est marqué par la présence constante de la particule emphatique xi au milieu du vers.

Trois ans plus tard, au début de l'été ~ 174 ou ~ 173, Jia Yi compose un autre poème qui est considéré comme le premier véritable fu, le « Fu du hibou ». En fait, la forme est encore proche du Chu ci : mètre presque constamment tétrasyllabique, présence quasi constante du xi. En revanche, comme dans les fu, c'est une discussion entre deux personnages qui est narrée. Le texte raconte en effet qu'un jour un hibou vint se poser sur le coin du siège où était assis le poète. Or le hibou est un animal de mauvais augure et Jia Yi y voit le présage de sa mort prochaine. Son poème, écrit pour se libérer de ses craintes, nous rapporte les questions sur son avenir que Jia Yi pose au hibou. Celui-ci, en guise de réponse, soupire, lève la tête et bat des ailes, mais le poète interprète son silence par un long discours — d'inspiration taoïste, bien que Jia Yi passe pour un confucéen — sur la non-permanence de toutes choses, la brièveté de la vie, l'indifférence à la mort. À propos de cette œuvre écrite par Jia Yi pour se réconforter dans une période de dépression, les auteurs modernes citent souvent Le Corbeau d'Edgar Poe. Malgré deux millénaires de distance et la différence des mondes, le rapprochement n'est[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VII, directeur de l'Institut des hautes études chinoises au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

Yves HERVOUET. JIA YI [KIA YI] (201-169 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FU [FOU], genre littéraire chinois

    • Écrit par Yves HERVOUET
    • 1 596 mots
    ...Han, on ne possède que le titre : il est probable qu'ils devaient être encore proches des œuvres des conseillers des princes Le premier auteur connu est Jia Yi (201-169), lettré confucéen, dont la réussite auprès de l'empereur suscita la jalousie de ses pairs et lui valut finalement d'être exilé au sud...
  • QU YUAN [K'IU YUAN] (IVe-IIIe s. av. J.-C.)

    • Écrit par David HAWKES
    • 1 122 mots
    L'alliance du génie littéraire avec le martyre politique l'a rendu cher aux poètes et aux hommes politiques chinois des époques suivantes. Au iie siècle avant J.-C., lorsque le jeune et brillant homme d'État Jia Yi fut banni après sa disgrâce au sud du fleuve Bleu, il écrivit une Lamentation...

Voir aussi