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PROTECTION SOCIALE

Apogée de la protection sociale

Le deuxième moment fort de la protection sociale date de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Considérer celle-ci comme l'événement fondateur des États-providence serait néanmoins aussi fallacieux que de présenter l'invention de la Sécurité sociale comme une conquête purement ouvrière. En réalité, ce furent les trois grandes crises du xxe siècle (les deux conflits mondiaux et la crise économique des années 1930) qui, par leurs répercussions cumulées sur la structure sociale, la répartition des revenus et la valeur de la monnaie, ont fait ressortir les limites de la prévoyance libre, et ont affermi le dessein d'étendre la couverture sociale à toute la population. Reste que ce désir d'extension ou ce besoin de sécurité sociale a reçu, ici et là, des traductions différentes, portant l'empreinte des fondements originels. Si l'Angleterre s'est engagée, sur la base du rapport Beveridge, dans la voie d'un système universel (critère d'éligibilité résidentielle qui confirmait le souci de mettre fin à la stigmatisation des pauvres), unifié (tous les risques sont couverts moyennant une seule cotisation), centralisé (géré par l'État), l'Allemagne est restée fidèle à sa conception assurantielle de la protection sociale, fondée sur le travail (critère d'éligibilité professionnel).

La France se situe dans une position intermédiaire, avec un tropisme plus marqué pour les systèmes de type bismarckien. Fruit des réflexions du Conseil national de la Résistance (C.N.R.), le Plan de la Sécurité sociale de 1945 empruntait à Beveridge son ambition d'étendre la protection sociale à l'ensemble de la population, en réunissant l'ensemble des risques sociaux (ceux couverts par les anciennes assurances sociales, complétés par les risques professionnels) et les allocations familiales. Mais, contrairement au cas britannique, la gestion du système était confiée à des institutions de droit privé (à l'exception de la caisse nationale), dotées de prérogatives de puissance publique et gérées conjointement par les syndicats et le patronat. La Mutualité se retrouvait ainsi dépossédée de son rôle de gestionnaire des assurances sociales.

Cependant, la grande ambition de Pierre Laroque et du communiste Ambroise Croizat se heurta très rapidement à l'opposition tonitruante de certaines catégories sociales : bénéficiaires de régimes spéciaux souvent très avantageux ; cadres dont l'adhésion fut obtenue contre l'aménagement d'un régime complémentaire de retraites ; population agricole jalouse de ses structures mutualistes ; et, surtout, artisans, membres des professions libérales et travailleurs indépendants du commerce et de l'industrie, qui redoutaient d'avoir à verser une « double » cotisation dans le cadre du régime général. Dès 1948, il fut acquis que la généralisation de la protection sociale se ferait sans porter atteinte aux anciens régimes spéciaux et par la juxtaposition de nouveaux régimes autonomes. C'était sacrifier, comme dans l'entre-deux-guerres, aux tendances centrifuges et corporatistes.

Faut-il enfin ajouter que l'adoption du critère d'activité professionnelle, jointe au plafonnement des prestations, eut des répercussions sur l'ensemble de la protection sociale, tout en contribuant au maintien d'un secteur assistanciel qu'on s'était pourtant bien juré de faire disparaître ? D'une part furent exclues du régime général les personnes dont le lien au travail était distendu ou inexistant, soit du fait de leur handicap, soit du fait d'une durée du travail insuffisante (jeunes, femmes isolées), soit en raison de la conjoncture économique (chômage). D'autre part, les catégories les plus aisées se tournèrent vers des protections complémentaires, contribuant ainsi à accentuer la disparité générale des couvertures[...]

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Écrit par

  • : docteur en histoire, habilité à diriger des recherches, chargé de mission au ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement

Classification

Pour citer cet article

Vincent VIET. PROTECTION SOCIALE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Média

Manifestation contre le plan Juppé - crédits : Georges Gobet/ AFP

Manifestation contre le plan Juppé

Autres références

  • ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) - L'Allemagne unie

    • Écrit par , et
    • 9 694 mots
    • 4 médias
    ...instaurées ; des allégements de charges sociales sur les bas salaires (Kombilöhne) sont mis en œuvre afin de rendre l'embauche plus attractive. Enfin, la réforme Hartz IV, la plus connue, instaure la fusion, le plafonnement et la limitation dans le temps des diverses formes d'assurance-chômage...
  • BELGIQUE - La période contemporaine

    • Écrit par , et
    • 9 047 mots
    • 2 médias
    Enfin, l’accord implique un transfert massif de nouvelles compétences aux entités fédérées, en particulier en matière d’emploi, de soins de santé et d’aide aux personnes. Pour la première fois, la sécurité sociale et la justice seront affectées directement par une réforme institutionnelle : en termes...
  • BEVAN ANEURIN (1897-1960)

    • Écrit par
    • 556 mots
    • 1 média

    L'un des plus importants chefs travaillistes britanniques entre 1930 et 1960, Aneurin Bevan fut l'un des plus fermes avocats d'une véritable socialisation de la Grande-Bretagne. Fils de mineur, il doit lui-même abandonner la mine, à cause d'une maladie des yeux. Adversaire virulent de la prudence...

  • BEVERIDGE WILLIAM HENRY (1879-1963)

    • Écrit par
    • 769 mots
    • 1 média

    Après des études à Oxford, Beveridge est nommé, à vingt-quatre ans, sous-directeur d'un foyer londonien à but philanthropique ; bientôt il dirige les services officiels de chômage et de placement. Ces activités l'amènent à se pencher sur le problème de l'emploi. Nommé directeur de la London School...

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