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ELUARD PAUL (1895-1952)

Dans son avertissement à l'iconographie de Paul Eluard, Roger-Jean Ségalat juge roidement les quelques ouvrages publiés jusqu'ici sur le poète : « Les quelques études mi-biographiques, mi-littéraires concernant Paul Eluard ont été, pour la plupart, écrites de son vivant ou immédiatement après sa mort. Inspirées par l'amitié, elles contiennent plus de bons sentiments que de faits précis. Quelquefois Eluard les a personnellement corrigées et a essayé de donner de lui-même, par le souci bien naturel qu'ont les demi-dieux de préparer pour la postérité leur propre histoire idéale, une image simplifiée ou conventionnelle. » Si l'ouvrage de Michel Sanouillet, Dada à Paris, nous éclaire les débuts d'Eluard, tant s'en faut que nous sachions au juste à quoi nous en tenir sur la période communiste, qui dure pourtant dix ans : les dix dernières années de la vie du poète. Même si l'on pense que les sonnets écrits au cachot par Jean Noir, alias Jean Cassou, sont plus achevés que les plus illustres poèmes d'Eluard pendant la guerre, son texte sur la Liberté et son « lyrisme civique » l'ont mis, sociologiquement, au premier rang des poètes de la Résistance. Néanmoins, c'est sans doute le poète de l'amour qui emporte l'adhésion et qui unifie le divers de ses inspirations, car l'amour des hommes est aussi vieux en lui que sa jeunesse et que l'amour des femmes.

Il est donc trop tôt pour écrire une vie d'Eluard, pour en ordonner les incidents, les plans, les valeurs ; mais il est possible, dès maintenant, d'en admirer les plus beaux effets : les poèmes.

D'Eugène Grindel à Paul Eluard

En décembre 1916, une douzaine de personnes recevaient une minuscule plaquette de poèmes polycopiés à dix-sept exemplaires, intitulée Le Devoir et signée Paul Eluard. L'envoi venait d'un hôpital d'évacuation du front. L'auteur, dont le véritable nom était Paul-Eugène Grindel, né à Saint-Denis le 14 décembre 1895, était à cette époque infirmier militaire. Il était le fils d'un comptable et d'une couturière. Clément-Eugène Grindel s'était « élevé » à la force du poignet, il était devenu marchand de biens et agent immobilier prospère, sans renier jamais les opinions socialistes de sa jeunesse. La fraîche fortune des Grindel avait d'abord permis au jeune Paul-Eugène de poursuivre de bonnes études jusqu'au brevet, puis de soigner en Suisse, de 1912 à 1914, une assez grave tuberculose. C'est au sanatorium que Paul-Eugène avait fait la connaissance d'une jeune fille russe qu'il prénomma Gala et qu'il épousa en 1916. C'est au sanatorium qu'il publiera à compte d'auteur sa première œuvre, signée de son vrai nom. Elle n'annonce guère le singulier et grand poète qui, en 1916, avec Le Devoir, fait la plus timide des entrées.

Exposition surréaliste de Londres - crédits : Evening Standard/ Getty Images

Exposition surréaliste de Londres

À la fin de sa vie, Eluard concevra deux longs poèmes, inséparables, qu'il intitulera Poésie ininterrompue. Mais toute sa traversée de la terre aura été un long murmure de poésie ininterrompue, une réponse poétique aux événements de l'histoire, de son destin et de son temps. Les événements fondamentaux qui feront jaillir la source poétique en Paul-Eugène, et du jeune Grindel feront surgir Eluard, c'est d'abord, et ce sera jusqu'au bout, la guerre. Le jeune Eluard a lié des amitiés parmi les réfractaires anarchistes et pacifistes, il a une grande admiration pour des poètes « sociaux » comme Whitman, le groupe des unanimistes, André Spire... Mais ce sera l'expérience vécue de la guerre et du front qui va déclencher en lui un étonnement sans terme, une indignation de voix blanche, et cette douceur inextinguible de la stupeur indignée. Au moment de la guerre coloniale du Rif, Eluard a participé à la grande aventure de contestation radicale qu'est Dada, puis a été avec [...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : écrivain

Classification

Pour citer cet article

ETIEMBLE et Claude ROY. ELUARD PAUL (1895-1952) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Nusch et Paul Eluard - crédits : Stefano Bianchetti/ Corbis/ Getty Images

Nusch et Paul Eluard

Exposition surréaliste de Londres - crédits : Evening Standard/ Getty Images

Exposition surréaliste de Londres

Autres références

  • BRETON ANDRÉ (1896-1966)

    • Écrit par Marguerite BONNET
    • 4 872 mots
    • 1 média
    ...esprits viennent à Breton qui anime la revue Minotaure. Avant même que se tienne à Paris la première exposition internationale du surréalisme, en 1937 (Dictionnaire abrégé du surréalisme en collaboration avec Eluard), des manifestations du mouvement l'appellent en divers points du monde. Malgré son...
  • CAPITALE DE LA DOULEUR, Paul Eluard - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre VILAR
    • 874 mots
    • 1 média

    Lorsque paraît en 1926 Capitale de la douleur, aux éditions Gallimard, le poète qui signe Paul Eluard (Eugène Grindel a choisi ce pseudonyme en 1916) rassemble en un seul volume deux périodes de sa vie, deux époques de son œuvre. L'ambiguïté du titre dit assez la cohérence de deux façons de voir...

  • GALA ELENA DIMITROVNIE DIAKONOVA dite (1892 env.-1982)

    • Écrit par Jean-Charles GATEAU
    • 910 mots

    Gala existe surtout comme figure tutélaire du surréalisme, à l'interférence des œuvres de Paul Eluard, de Max Ernst et de Salvador Dalí.

    Née vers 1892, Elena Dimitrovnie Diakonova, fille d'un avocat russe, étudiante, soigne une affection pulmonaire (ou psychique, selon La Vie secrète...

  • SURRÉALISME - Histoire

    • Écrit par Ferdinand ALQUIÉ, Pierre DUBRUNQUEZ
    • 11 416 mots
    • 3 médias
    ...numéros à côté des signatures plus sages d'un Gide ou d'un Valéry, donnent d'emblée la mesure des ambitions de ses trois directeurs que rejoindra bientôt Paul Eluard ; former un groupe qui, par-delà la révision des formes de l'art, puisse efficacement intervenir sur la question de sa destination : « Pourquoi...

Voir aussi