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PATHÉTIQUE

Est pathétique ce qui, par le spectacle ou l'expression du malheur ou de la souffrance, excite les passions et les émotions vives telles que tristesse, indignation, horreur, pitié, terreur. C'est dans ce sens que Beethoven intitule Sonate pathétique une œuvre où il tente à bon escient d'ingérer les valeurs dramatiques dans le langage instrumental du piano : l'annexion par le piano d'une certaine mise en œuvre, réservée jusque-là à la diction théâtrale, compte autant pour le titre que l'expression de la souffrance. Un siècle plus tard, la Symphonie pathétique de Tchaïkowski sera beaucoup moins significative à cet égard.

Il est traditionnel, depuis Marmontel, de distinguer le « pathétique direct », qui consiste à manifester ou à représenter l'émotion même qu'on veut susciter, et le « pathétique réfléchi », par lequel l'orateur ou le dramaturge provoque chez son public une émotion, sans se servir lui-même des signes de cette émotion. Le second, selon Marmontel, aurait plus de valeur et d'efficacité que le premier. En réalité, s'il ne permet pas les mêmes effets extérieurs, il en permet d'autres qui ne sont pas moins faciles ni parfois moins grossiers : il est aussi aisé de faire pleurer ou frémir en montrant l'innocente victime d'une injustice ou d'une traîtrise dans une ignorance heureuse et confiante qu'en la peignant dans le désespoir (la tragédie et le drame, au xviiie siècle par exemple, ont usé avec complaisance des deux moyens). La difficulté d'un pathétique non mélodramatique tiendra à la création d'un langage (romanesque, théâtral, cinématographique, pictural) qui ne se réduise ni à une simple réaction de douleur (selon un paradoxe énoncé par l'abbé d'Aubignac à propos de la tragédie, cette réaction ne saurait être que le silence ou l'onomatopée) ni à un stimulus purement artificiel, mais qui, expression d'une passion vraie, soit capable, par sa puissance et son universalité, par son pouvoir de suggestion, de produire dans ce qu'il est convenu d'appeler le « cœur » des spectateurs une impression intense. Cette impression — ainsi que le montre l'évolution du tragique de Sophocle à Euripide ou de Corneille à Racine — pourra être transcendée si le malheur est compris comme épreuve, ou prolongée de façon poignante s'il est au contraire ressenti comme fatalité.

— Bernard CROQUETTE

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII

Classification

Pour citer cet article

Bernard CROQUETTE. PATHÉTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • DRAME - Drame bourgeois

    • Écrit par
    • 3 500 mots
    • 1 média
    Le drame bourgeois porte sa date. Personnage d'époque que son héros, cet homme « sensible ». L'émotion, accompagnée d'une conscience de l'émotion, s'épanouit en un expressionnisme véhément, théâtral, qui devait rapidement se démoder. Au tableau final, le Père de famille de Diderot bénit les quatre...
  • SUBLIME, littérature

    • Écrit par
    • 1 344 mots
    ..., l'art, ne se fiant qu'à la « nature » (au génie) ou à la grâce. Mais sous couvert de mépriser la rhétorique, s'impose une éloquence du pathétique : fusion dans une même qualité d'âme de l'éthos et du pathos, de l'orateur et de l'auditeur. Rousseau, puis les orateurs révolutionnaires,...
  • PATHOS

    • Écrit par
    • 90 mots

    Évocation de l'expérience humaine dans une représentation propre à faire naître la pitié, la sympathie, chez le lecteur ou le spectateur. Distinct des passions plus élevées de la tragédie, le pathos (du grec pathos : « souffrance, passion ») naît, particulièrement dans l'art oratoire,...

  • RACINE JEAN (1639-1699)

    • Écrit par
    • 4 401 mots
    • 5 médias
    ...des Grecs. D'où les malentendus fréquents de la critique. Certains sont frappés de ce que le théâtre de Racine a de purement tragique, c'est-à-dire de pathétique, d'immobile par-dessus les va-et-vient de l'action ; l'essentiel de Racine tient pour eux dans le chant de désespoir qui s'élève à certains...