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NÉGATION, linguistique

La langue réalise de plusieurs façons l'opérateur logique fondamental qu'on appelle négation et qui a pour propriété essentielle d'inverser la valeur de vérité d'un jugement : le terme de foncteur de vérité monadique (ou singulaire) dont on le désigne parfois signifie qu'à la différence des connectifs il ne s'applique pas à l'union de deux jugements atomiques mais à un seul qu'il fait passer de la valeur « vrai » à la valeur « faux ». Le problème essentiel que pose à la linguistique la négation est son statut : est-il syntaxique ou sémantique, autrement dit s'agit-il d'une simple opération affectant les énoncés terminaux ou doit-on au contraire remonter à la structure la plus profonde pour tenter de poser ce foncteur et, dans ce dernier cas, quelle sera son incidence, la fonction ou l'argument ?

On ne peut, en effet, se contenter d'étudier la négation au niveau le plus superficiel, car il s'agit d'un constituant au comportement capricieux, discontinu en français, se combinant dans d'autres langues avec les différents quantificateurs (les semi-négatifs du latin ou le any anglais en témoignent, de même que le kein allemand), exigeant parfois l'appoint d'un auxiliaire (do en anglais). La grammaire transformationnelle traite la négation comme une véritable transformation, qui affecte les plans de la syntaxe (transformation par « ne... pas »), de la morphologie (transformation par le préfixe privatif in) et du lexique (les multiples oppositions de la langue grand/petit, sage/fou). Mais, concernant les couples de racines primitives dans la langue, peut-on encore parler de transformations négatives ? Et le rapport de « poli » à « impoli » est-il le même que celui de « propre » à « sale » ? Il est difficile de répondre par l'affirmative étant donné d'une part qu'on ne peut assigner de point de départ à une opposition de ce genre (le terme primitif est-il bon ou mauvais ?) et d'autre part que les utilisations stylistiques qui sont faites de la négation du contraire ne renvoient pas vraiment au point d'origine : « Ce n'est pas facile » est plutôt l'équivalent d'un superlatif (« C'est très difficile ») que d'un positif.

Des modulations de cet ordre, et surtout l'observation des différents systèmes de langue qui relient très fréquemment la négation à l'interrogation, font actuellement penser que la négation est une modalité implicite de l'opération prédicative qui, déjà présente en quelque sorte dans le contenu notionnel, mettrait au jour, par l'actualisation du jugement, soit l'assertion affirmative, soit son contraire, soit encore une tension entre les deux pôles, l'interrogation, soit enfin un terme neutre par rapport à l'opposition ; ainsi il y a plusieurs négations possibles, dès lors qu'on accepte ce système à quatre termes (positif, négatif, absorbant, neutre), pour un énoncé aussi banal que : « Il chante des chansons », à savoir :

« Il ne chante pas des chansons mais des airs d'opéra », ce qui correspondrait à la question : « Chante-t-il des chansons ? » (ou autre chose ?) ;

« Il massacre des chansons » (la question étant alors : « Est-ce chanter des chansons, ce qu'il fait ? ») ;

« Il gagne sa vie autrement, il répare des voitures » (la question étant cette fois : « Que fait-il ? »).

On voit que la phrase positive d'où l'on part peut toujours fonctionner comme une réponse possible aux questions sous-jacentes et explicitées ci-dessus, mais qu'à chaque fois une réponse inverse peut être fournie qui en serait un des contraires. Cette dissymétrie provient essentiellement du fait que, dans les modèles linguistiques actuels, on n'accorde pas une place assez importante à la définition même du prédicat,[...]

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Classification

Pour citer cet article

Robert SCTRICK. NÉGATION, linguistique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ADVERBE

    • Écrit par Robert SCTRICK
    • 312 mots

    L'une des parties du discours traditionnellement définie par sa propriété sémantique de modifier le contenu du prédicat ou de l'assertion, l'adverbe présente, en outre, la possibilité récursive de se combiner avec soi-même. Les difficultés de l'analyse proviennent surtout du fait qu'on...

  • ÉNONCIATION

    • Écrit par Oswald DUCROT
    • 7 958 mots
    La négation fournit un autre exemple du même phénomène – plus paradoxal dans la mesure où les discours des différents interlocuteurs y sont davantage enchevêtrés. Des raisons diverses incitent à comprendre de nombreux énoncés négatifs comme réfutations des énoncés affirmatifs correspondants, prêtés à...
  • NON & NÉGATION, philosophie

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD
    • 965 mots

    Opérateur linguistique de la négation, « non » apparaît dans le dialogue ou dans l'interaction comme réponse à l'interlocuteur ou au partenaire et exprime soit le rejet d'une croyance, soit le refus de la poursuite d'un processus. On peut distinguer :

    La réponse à...

Voir aussi