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FINLEY MOSES (1912-1986)

Né à New York en 1912, Moses Finley fit des études d'histoire du droit et de l'Antiquité à l'université Columbia, mûri en même temps, comme il le reconnaissait lui-même, par la conjoncture internationale : la crise de 1929, la montée du nazisme et la guerre d'Espagne ancrèrent pour toujours sa réflexion d'historien de l'Antiquité dans le monde moderne. Il fut très tôt influencé par les problématiques développées par les sciences sociales. En dehors du milieu universitaire, avec un groupe d'étudiants, il découvrit le sociologue Max Weber, alors inconnu aux États-Unis : il en acquit la conviction que les institutions et leur évolution ne pouvaient être comprises que dans la structure sociale de leur époque. Il lut également beaucoup Marx : « Sa génération, disait-il, ne pouvait l'éviter. » Victime du maccarthysme, il avait pourtant sur le marxisme une position nuancée qui l'avait même amené à se déclarer « contremarxiste » à la fin de sa vie, politiquement, par refus d'un système totalitaire, et intellectuellement, parce que les postulats et méthodes marxistes ne lui paraissaient présenter aucun intérêt pour les périodes précapitalistes. Les similitudes qu'il avait relevées dans les analyses de Marx et de Weber lui permirent de formuler, dès 1959, un de ses postulats fondamentaux, à savoir qu'« un aspect essentiel de l'histoire grecque était la marche en avant, main dans la main, de la liberté et de l'esclavage ».

C'est pour l'étude de l'esclavage antique que l'apport de Finley est le plus riche de conséquences, car les catégories de servitude antique, qu'il s'efforça d'isoler dans une série d'articles vers 1960, ont été, dès lors, reprises par tous : il distingua l'esclavage-marchandise, quand l'esclave est acheté comme force de travail, des formes de dépendance où interviennent des contraintes non économiques, telles que celle des ilotes à Sparte, et il se démarqua de l'école marxiste en refusant une catégorie immuablement reproduite de l'esclavage et en soulignant la spécificité des formes antiques. Dès 1952, il avait soutenu sa thèse sur une forme particulière de dépendance, celle des débiteurs envers leurs créanciers ; elle lui avait valu un poste d'enseignant à Rutgers. Puis vint la crise maccarthyste : Finley quitta l'Amérique pour l'Angleterre et commença en 1955, à Cambridge, une seconde carrière couronnée d'honneurs. Sir Moses, membre de l'Académie britannique depuis 1971, était devenu un auteur à succès, servi par son expression directe et alerte, son sens de l'actualité et son humour.

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C'était l'homme des controverses et même des polémiques : « Toute polémique, disait-il, est une façon d'avancer. » Les titres de ses œuvres sont parfois significatifs de la façon dont ses idées avaient mûri : ainsi Slaveries in Antiquity. Views and Controversies (1960) ou Démocratie antique et démocratie moderne (1973). Finley prenait position dans des débats que les érudits savent être séculaires, tel celui sur le caractère primitif ou moderne de l'économie antique. Il entrait dans une querelle d'école quand il dénonçait dans sa seconde série d'études sur l'esclavage (autour de 1980) 1'interprétation « humaniste » des historiens de Mayence. Il répondait à des politologues anglo-saxons quand il analysait le fonctionnement interne des régimes antiques pour circonscrire l'essentiel de la démocratie. Mais il séduisait toujours le grand public par ses livres synthétiques, courts, dépouillés de tout l'événementiel et sélectionnant les références, par sa facilité, surtout, à comprendre et à dominer de vastes ensembles ou de longues périodes. Son dernier livre traduit en français en 1986, La Sicile antique. Des origines à l'épogue byzantine, s'attache aux permanences d'un lieu défini comme un lieu de rencontre et un lieu de violences. Finley fut servi par le développement des collections historiques de poche, auxquelles son mode d'écriture et d'expression convenait tout particulièrement.

Il qualifiait ses livres de « livres-conférences », de « livres-occasions », car il les avait toujours essayés devant un auditoire, à Cambridge, aux micros de la B.B.C., mais aussi aux États-Unis, où il fit un retour remarqué en 1972, et en France où il fut lancé par P. Vidal-Naquet à partir de 1965 et par J.-P. Vernant au Collège de France (conférences de 1979). L'école anthropologique française reconnaissait en lui l'un des siens depuis la publication du Monde d'Ulysse, où il sut montrer, grâce à ces méthodes et problématiques nouvelles, la spécificité d'une Grèce homérique, distincte des palais mycéniens comme des cités archaïques. Pourtant, il émit toujours des réserves sur l'utilisation systématique des méthodes anthropologiques et ethnographiques pour l'étude d'une société sécularisée, lettrée et étatisée comme l'était celle de la Grèce archaïque et classique. Ses synthèses sont sans doute plus intuitives que démonstratives, mais elles ont eu un véritable pouvoir décapant. L'Économie antique appuya le point de vue des primitivistes et démontra surtout que, dans l'Antiquité, l'économie était intégrée à la société et à ses institutions au point qu'on ne pouvait la traiter comme une catégorie autonome et l'étudier isolément. Dans L'Invention de la politique, il met en évidence des réseaux de relations personnelles et des groupes d'intérêt méconnus de l'histoire événementielle ou biographique écrite par les Anciens. Finley remettait sans cesse l'ouvrage sur le métier, et on retrouve dans son dernier livre beaucoup de matériaux rassemblés dans des recueils plus anciens. Il ne cessait pas non plus de réfléchir sur les méthodes et les moyens de l'enquête historique et il rêvait d'un livre de méthodologie pour l'histoire ancienne, qu'il n'eut pas le temps d'écrire. Il est mort en juillet 1986, ne survivant que quelques jours à son épouse, collaboratrice de plus de cinquante années.

— Marie-Françoise BASLEZ

Bibliographie

Principaux ouvrages de Moses Finley traduits en français : Les Anciens Grecs, Maspero, Paris, 1971 ; Les Premiers Temps de la Grèce : l'âge de bronze et l'époque archaïque, ibid., 1973 ; L'Économie antique, éd. de Minuit, Paris 1975 ; Démocratie antique et démocratie moderne, Payot, Paris, 1976 ; Esclavage antique et idéologie moderne, éd. de Minuit, 1981 ; Le Monde d'Ulysse, nouv. éd., La Découverte, Paris, 1983 ; Mythe, mémoire, histoire. Les usages du passé, Flammarion, Paris, 1981 ; Économie et société en Grèce ancienne, La Découverte, 1984 ; L'Invention de la politique. Démocratie et politique en Grèce et dans la Rome républicaine, Flammarion, 1985 ; La Sicile antique. Des origines à l'époque byzantine, Macula, Paris, 1986.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, maître de conférences d'histoire ancienne à l'École normale supérieure

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