THOREZ MAURICE (1900-1964)

Après le décès de Maurice Thorez le 12 juillet 1964 sur le paquebot Litva qui l’emmenait pour ses vacances sur les bords de la mer Noire, Jeannette Vermeersch, sa seconde épouse, écrivait à Nikita Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique : « Maurice est mort à Istanbul. C’est comme le symbole de sa vie, d’une vie entre deux mers, d’une vie entre les deux pays qu’il aimait le plus au monde : sa France et le premier pays socialiste, l’Union soviétique ».

Maurice Thorez est né le 28 avril 1900, à Noyelles-Godault, une petite ville proche d’Hénin-Beaumont, au cœur du bassin minier du Pas-de-Calais. « Fils et petit-fils de mineur, aussi loin que remontent mes souvenirs, je retrouve la rude vie du travailleur : beaucoup de peines et peu de joie », écrit-il dans son autobiographie. L’historien du Parti communiste français (PCF) Philippe Robrieux a découvert que Maurice Thorez était né hors mariage. Si son père biologique était épicier, l’homme qui épousa sa mère et le reconnut comme son fils, Louis Thorez, était mineur et l’éleva dans ce monde de corons et de « mineurs accablés par l’effort à plusieurs centaines de mètres sous terre ». Excellent élève à l’école primaire, il travaille dès l’obtention de son certificat d’études en 1912 comme trieur de pierres aux mines de Dourges. À l’automne de 1914, en compagnie de son grand-père Clément Baudry, mineur et militant guesdiste qui l’initia à la politique, il est évacué comme tous les hommes quand le Nord est envahi par les Allemands et trouve refuge dans une petite ville de la Creuse, Clugnat, de 1914 à 1917. Il y travaille comme valet de ferme. En mars 1917, Maurice et son grand-père quittent la Creuse. Dans la Somme, le jeune homme travaille comme marinier puis, après avoir été évacué dans l’Oise, comme boulanger. Après la signature de l’armistice, il regagne Noyelles-Godault et travaille à la mine jusqu’à son départ en mars 1920 pour un service militaire de vingt-quatre mois.

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Maurice Thorez est séduit par la « grande lueur » qui s’est levée à l’Est avec la révolution bolchevique. Adhérent de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), il prend parti pour l’adhésion à la IIIe Internationale, le Komintern. Dès lors, il est un militant de la Section française de l’Internationale communiste, le Parti communiste, et, très vite après son retour du service militaire, un « révolutionnaire professionnel », c’est-à-dire un fonctionnaire du parti, un permanent des organisations communistes, dont la ligne d’action est décidée à Moscou. Son ascension est rapide : membre du comité central en 1924, du bureau politique en 1925, il siège au secrétariat la même année. Le séjour qu’il effectue à Moscou à l’été de 1930, après avoir passé onze mois en prison (juin 1929-avril 1930), principalement à Nancy, est décisif. Il devient de fait le secrétaire général du parti. Alors qu’il est marié à Aurore Membœuf dont il a un fils, Maurice Junior, il rencontre au Lux, l’hôtel du Komintern, une jeune ouvrière en stage, Jeannette Vermeersch. Ils vivent ensemble à partir de 1934, ont trois enfants (Jean, Paul et Pierre) et se marient en 1947, quand Maurice obtient d’Aurore le divorce.

Avec le Front populaire, Thorez devient une personnalité d’envergure nationale et le Parti communiste un mouvement qui compte dans la vie politique. En 1937, il publie son autobiographie, Fils du peuple, rédigée par sa plume Jean Fréville, qui sera rééditée en 1949 et en 1960, et deviendra un manuel d’histoire du PCF et le support du culte dont il est l’objet, surtout lors de la grandiose célébration organisée pour son cinquantième anniversaire. Car Maurice Thorez incarne le Parti communiste français, « le Parti » avec une majuscule, comme pour signifier qu’il est le seul. Son destin est emblématique d’une génération de très jeunes ouvriers nés avec le siècle qui s’est élevée dans la société non grâce à la méritocratie de l’école républicaine, puisqu’ils ne peuvent la fréquenter au-delà du certificat d’études primaires, mais par la politique. Ces hommes lui doivent tout : l’éducation, le travail, le logement, les loisirs, les amours. En servant « le Parti », qui promet à la classe ouvrière « des lendemains qui chantent », ils ont le sentiment d’être fidèles à leurs origines, de servir leur classe sociale, même si leur mode de vie n’a plus rien à voir avec celui du milieu dont ils sont issus.

Le 23 août 1939, l’Union soviétique et l’Allemagne nazie signent un pacte de non-agression et se partagent notamment la Pologne. La guerre, qualifiée par Staline d’impérialiste, ne concerne donc pas les communistes. À la fin de septembre, le PCF est interdit. Le 3 octobre 1939, Thorez, qui comme tous les communistes a répondu à la mobilisation et se trouve à Chauny (Aisne), déserte, passe clandestinement la frontière avec la Belgique et arrive, le 8 novembre 1939, en Union soviétique. Il y reste le temps de la guerre, à Moscou d’abord, puis quand le Komintern est évacué, à Oufa (Bachkirie), avant de regagner Moscou. Sa désertion comme son long séjour en URSS resteront jusqu’au début des années 1980 un secret du Parti. Après que sa condamnation pour désertion a été amnistiée par de Gaulle, qui s’apprête à se rendre en Union soviétique, il retrouve le 26 novembre 1944 la France et la direction du PCF. Il s’est auparavant entretenu avec Staline, qui lui a conseillé de trouver des alliés parmi les socialistes et les radicaux, car l’heure n’est pas à la révolution, mais à la reconstruction du pays. Le Parti communiste, dont le rôle fut important dans la Résistance, est puissant, recueillant plus d’un quart des suffrages lors de chaque élection. Maurice Thorez est successivement ministre d’État dans le gouvernement de Gaulle et vice-président du Conseil dans ceux de Félix Gouin, Georges Bidault et Paul Ramadier qu'il quitte à regret, avec les autres ministres communistes en mai 1947. On lui doit notamment le statut de la fonction publique. L’historienne Annie Kriegel appellera la ligne politique adoptée par Thorez pendant cette période qui suit la Seconde Guerre mondiale « le national-thorézisme ».

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La guerre froide rejette le Parti communiste dans une opposition radicale et parfois violente comme pendant la guerre d’Indochine ou lors de la manifestation contre la visite du général Ridgway (28 mai 1952), accusé d’user d’armes bactériologiques dans la guerre de Corée. Thorez n’est alors pas en France. Victime d’une attaque cérébrale en octobre 1950, il est soigné en URSS et ne peut regagner la France, physiquement diminué, qu’après la mort de Staline (5 mars 1953). Tant bien que mal, secondé par son épouse Jeannette Vermeersch, il reprend la tête du parti. Il est présent à Moscou lors du XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (février 1956), et le rapport secret de Khrouchtchev, dénonçant les crimes de Staline et le culte de la personnalité, lui est communiqué. Il niera pourtant son existence à son retour en France et refusera tout changement dans le fonctionnement d’un parti très bureaucratisé, d’une fidélité d’airain à Moscou et dont les dirigeants vieillissants sont de sa génération. Il incarne jusqu’à sa mort un parti qui amorce, avec le retour du général de Gaulle en 1958, son déclin. Maurice Thorez se retire de son poste de secrétaire général lors du XVIIe congrès en mai 1964. Il est alors remplacé par Waldeck Rochet. Il devient le président du PCF, une fonction honorifique créée pour lui. Il ne l’exercera guère, puisqu’il meurt deux mois plus tard.

Désormais, le communisme semble bien appartenir à l’histoire. Même si le nom de Maurice Thorez figure toujours dans l’espace public de nombreuses communes de France – rues, centres sportifs, écoles, etc. –, et qu’une ville du bassin minier du Donetz, en Ukraine, porte toujours son nom (Torez), son rôle dans l’histoire internationale et française est largement effacé.

— Annette WIEVIORKA

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  • : directrice de recherche émérite au CNRS, UMR identités, relations internationales et civilisations de l'Europe, université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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