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PIALAT MAURICE (1925-2003)

Quand vient la fin

L'histoire d'amour de Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) commence au moment où cette histoire même est déjà finie entre Jean (Jean Yanne) et Colette (Marlène Jobert). Comme François, Jean mêle tentatives de « recoller les morceaux » et comportements odieux, provoquant l'irréversible. Par la suite, Loulou (1980), À nos amours (1983), Police (1985) donneront à voir des personnages en situation de déshérence sentimentale, dont le parcours s'achève avec une nouvelle rupture. Situations que démultiplient aussi bien Passe ton bac d'abord (1978) que Le Garçu (1995)... De même lorsque Van Gogh, dans le film éponyme (1991), arrive à Auvers, après l'internement à Saint-Rémy, tout semble joué, malgré les dernières œuvres et la romance avec Marguerite Gachet. Tous ces personnages ressentent un manque, qui ne se réduit pas à la perte d'un paradis perdu, qu'ils n'ont pu qu'imaginer. Le seul paradis décrit longuement est celui où vit le jeune héros du feuilleton réalisé pour la télévision en 1970, La Maison des bois, sur lequel pèse la menace d'un arrachement inéluctable.

Ainsi au seuil de tout film de Pialat, « le mal est fait », constatait Jean Narboni à propos de Passe ton bac d'abord. Ce mal qui, comme dans L'Amour existe, pousse chacun à se sentir rejeté, tenu à l'extérieur de ce qui devrait être le centre de sa vie.

Ce mal originel, jamais désigné, s'apparente à celui que décrit le philosophe Clément Rosset dans des ouvrages qui pourraient acompagner La Gueule ouverte (1974) ou Nous ne vieillirons pas ensemble : Le Principe de cruauté, Logique du pire. Rosset comme Pialat constatent « la nature intrinsèquement cruelle et tragique de la réalité. [...] L'homme est la seule créature connue à avoir conscience de sa propre mort [...], mais aussi la seule à rejeter sans appel l'idée de la mort. » Que Pialat, au lieu de profiter du grand succès public de Nous ne vieillirons pas ensemble, le seul qu'il ait connu avant Police et Van Gogh, ait choisi de filmer la lente agonie d'une femme, atteinte d'un cancer, personnage inspiré de sa propre mère (La Gueule ouverte), ne relève pas de la « logique du pire », mais de cette « cruauté du réel » qu'il ne cesse de cerner. La maxime de La Rochefoucauld, que Roberto Rossellini, plaçait dans la bouche du Roi Soleil au dernier plan de La Prise de pouvoir par Louis XIV – « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » – définit la morale esthétique de Pialat. L'invention des frères Lumière, « vol de l'existence [et] exorcisation de la mort », a ici une fonction révélatrice. Dans La Gueule ouverte, pour reprendre la formule de Cocteau, Pialat filme bien « la mort au travail », mais scrute tout autant, chez ceux qui entourent la mourante, fils, mari (le « garçu »), belle-fille, la façon dont chacun d'eux détourne le regard du spectacle de la souffrance, en attendant, « la fin »... De là le malaise et le vrai scandale du film.

« Cruor, d'où dérive crudelis (cruel) ainsi que crudus (cru, non digéré, indigeste), désigne la chair écorchée et sanglante : soit la chose elle-même dénuée de ses atours ou accompagnements... » (Rosset). Pialat filme le réel sans atours ni détours, sur les lieux mêmes. Pour L'Enfance nue, dans la vraie maison des Thierry, il refuse de changer le papier peint ou de déplacer une armoire. Pour La Gueule ouverte, il fait même – inutilement – rouvrir la tombe de sa mère, espérant y tourner... Le réel, c'est aussi l'instant qu'enregistre la caméra, ce qui ne se produit qu'une seule fois (comme la mort), et qui est toujours une « première fois ». À chaque acteur d'inventer son personnage et son jeu, sans reproduire ce qu'il sait faire ni imiter les gestes du metteur[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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