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MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625)

Cinq jardins en un seul

« Contiene un sol giardin cinque giardini » (L'Adonis, VI, 19). Ce jardin des délices, jardin des cinq sens où, selon la hiérarchie scrupuleuse qui régit le monde de Marino, la vue trône en souveraine, est la clé de L'Adonis, poème touffu de quelque quarante-trois mille vers pour lequel, en plein classicisme, Mme de Sévigné gardait un faible et dont La Fontaine s'inspira.

Parce qu'il se fie à ses sens, qu'il se projette et se disperse dans tous les objets, qu'il aime l'ostentation et la parade à condition qu'elle ne soit pas celle des idées et des sentiments, qu'il préfère, selon une jolie expression de Claude Roy, « le trompe-l'œil au trompe-l'esprit », on a accolé à sa poésie les épithètes de voluptueuse, de frivole et d'artificielle.

Voluptueuse, elle l'est, et il serait vain de chercher dans son œuvre autre chose que l'éloge de tout ce que l'on peut palper, respirer, déguster, entendre et voir. L'amour passion, les problèmes métaphysiques et moraux en sont absents ; en revanche, le monde extérieur y figure dans sa totalité, avec ses aspects mouvants, ambigus, ses grâces ondoyantes, ses beautés naturelles ou imitées par l'art, et aussi ses bizarreries, ses cocasseries, voire, bien que plus rarement (la recherche du discordant et de l'horrible s'accentuera chez ses disciples), ses monstruosités. Ce bouleversement de la thématique va de pair avec une révolution du style. Au classicisme qui, au xvie siècle, continue à produire, sur le modèle de Pétrarque, ses fruits épuisés en cette langue toscane désormais génératrice de stéréotypes, Marino oppose une langue concrète, nourrie de tous les dialectes vigoureux de la péninsule, à commencer par le napolitain, de termes étrangers naturalisés, de mots empruntés à toutes les techniques, de la chasse à l'anatomie. L'Adonis, mais aussi La Lira ou La Sampogna sont un inventaire des biens que recèle l'univers ; on y trouve un herbier et un bestiaire inépuisables, chevaux pur sang, lévriers et petits chiens de salon, multitude bigarrée et brillante des oiseaux, poissons et insectes, plantes exotiques ou indigènes, toutes les fleurs, de la passiflore à la violette, décor champêtre, marin ou citadin, rocs et rocailles, fontaines, perspectives encombrées, scènes de rues et scènes d'alcôve. Et dans ces cadres solennels ou intimistes évolue la femme – non plus modèle idéal, mais cueillie dans ses mille occupations prosaïques, mondaines, érotiques – à la campagne, au spectacle, à une exécution capitale, à la toilette, au lit ; non plus toujours blonde, mais à l'occasion brune, ou rousse, ou noire – jeune veuve ou belle négresse, et non plus invariablement belle, mais laide parée de bijoux, vieillissante, grêlée, chaussée de lunettes. Émaux et camées, curiosités minutieuses, quasi fantastiques à la manière d'Arcimboldo, portraits d'un naturalisme débridé à la Caravage comme vastes compositions évoquant les grands artistes baroques, Rubens ou Le Bernin, défilent dans cet album de collectionneur voluptueux et maniaque.

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Écrit par

  • : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice

Classification

Pour citer cet article

Angélique LEVI. MARINO GIOVANNI BATTISTA dit LE CAVALIER MARIN (1569-1625) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ADONE, Giovanni Battista Marino - Fiche de lecture

    • Écrit par Mireille BLANC-SANCHEZ
    • 1 038 mots
    • 1 média

    L'Adone, qui compte cinq mille trente-trois vers, répartis en vingt chants comportant un nombre inégal de strophes, est l'un des poèmes les plus longs et les plus controversés de la littérature italienne. Giovanni Battista Marino (1569-1625), dit le Cavalier Marin, avait travaillé à...

  • LUBRANO GIACOMO (1619-1693)

    • Écrit par Paul LARIVAILLE
    • 85 mots

    Jésuite napolitain, prédicateur et poète. Dans ses Étincelles poétiques ou poésies sacrées et morales (Scintille poetiche o poesie sacre e morali, 1690), publiées sous le pseudonyme anagrammatique de Paolo Brinaccio, on retrouve poussés à l'extrême les traits caractéristiques de la tradition...

  • POUSSIN NICOLAS (1594-1665)

    • Écrit par Stéphane LOIRE
    • 3 558 mots
    • 7 médias
    ...collabora avec Philippe de Champaigne à des ensembles décoratifs au palais du Luxembourg (tous disparus). Rencontrant au même moment le poète italien Gian Battista Marino (le Cavalier Marin), il dessina pour lui une suite de sujets empruntés aux Métamorphoses d'Ovide (Windsor Castle), qui dénote une...

Voir aussi