LYSSENKO (AFFAIRE)

Portrait de Trophim Lyssenko - crédits : Bettmann/ Getty Images

Portrait de Trophim Lyssenko

Trofim Denissovitch Lyssenko, technicien agricole soviétique, connut une carrière fulgurante. Né le 29 septembre 1898 à Karlovka en Ukraine (province de Poltava) dans une famille de paysans, il reçoit une formation pratique dans une école d'horticulture et devient technicien agricole. Si Lyssenko reconnaît volontiers sa faible formation scientifique, il se targue d'être un homme de terrain hors pair. En 1927, son idée d'économiser le fourrage par la mise en prairie de champs de coton en Azerbaïdjan est citée en exemple par la Pravda, qui lui décerne le titre de « savant aux pieds nus » : la prévalence de la pratique sur la théorie est clairement revendiquée. En 1929, au congrès d'agronomie de Leningrad, il s'approprie une découverte américaine de 1857, la vernalisation, laquelle permet la transformation du blé d'hiver en blé de printemps par humidification puis exposition au froid avant de semer, ce qui augmenterait le rendement. En 1934, il est admis à l'académie des sciences d'Ukraine ; en 1937, il dirige l'Institut de génétique végétale d'Odessa ; en 1938, il préside l'académie Lénine des sciences agronomiques d'U.R.S.S. ; en 1948, il impose, dans la recherche et l'enseignement, le remplacement de la génétique par une autre génétique dite mitchourinienne. Sa carrière vacille après la mort de Staline, mais son influence reste considérable. Lorsque N.S. Khrouchtchev, son dernier protecteur politique, quitte la scène politique en 1964, Lyssenko est démis de ses fonctions. Il meurt à Kiev le 20 novembre 1976.

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Une telle carrière laisse penser qu'il obtint des résultats remarquables. Or il n'en est rien. Lyssenko fut, d'un bout à l'autre de son parcours, un imposteur. Son bilan se résume à la mise à l'écart ou la déportation et la mort de nombreux généticiens soviétiques et par l'accumulation d'un retard considérable dans le développement des recherches biologique et agronomique en U.R.S.S. Rien de positif n'aura pu être retenu, pas même la vernalisation.

Mais juger du lyssenkisme au seul regard de son bilan n'explique pas comment il a pu s'installer au cœur du système politique et social de l'U.R.S.S. stalinienne. Lyssenko fut-il simplement un pantin mégalomane entre les mains de Staline et de Jdanov pour la mise au pas des intellectuels et pour se défausser d'une production agricole catastrophique ? Sans doute pas. Lyssenko a eu la main sur des pans entiers de l'agriculture soviétique. Les opérateurs locaux l'ont accepté et ont également su protester quand les décisions appliquées (vernalisation, plantation d'arbres en nids, semis sans labourage, etc.) menaient au désastre. Alexandre Sumpf montre, dans un ouvrage publié en 2013, une société soviétique loin d'être déterminée seulement par les décisions moscovites. Si Lyssenko a rencontré une certaine approbation, ce n'est pas seulement parce qu'il répondait aux besoins politiques des autorités soviétiques, c'est aussi parce qu'il s'appuyait sur des arguments compris de tous pour inventer et promouvoir ses prétendus succès, pour façonner une génétique imaginaire « acceptable ». La « machine » Lyssenko en U.R.S.S., l'affaire Lyssenko en Europe occidentale demeurent des exceptions, mais les mécanismes à l'œuvre sont, eux, toujours d'actualité.

La nécessité d'une génétique prolétarienne

Il existe un parallélisme étroit entre les énoncés de Lyssenko et les infléchissements des stratégies de Staline. La présentation de la technique de vernalisation au congrès d'agronomie de 1929 à Leningrad, fort mal reçue par les agronomes et les universitaires, est le point de départ du soutien de Staline, lequel trouve dans le discours de Lyssenko – qui contient une formidable attaque contre l'agronomie dite bourgeoise – une solution acceptable pour expliquer l'échec de sa politique agricole et de la dékoulakisation, et pour promouvoir une « agronomie scientifique prolétarienne ». Elle est imposée en 1935 comme stratégie d'État. Qu'elle soit progressivement abandonnée importe peu face aux enjeux politiques de l'agriculture. De même, lors de la mise au concours en 1936 d'un programme d'amélioration des semences de céréales, Lyssenko affirme pouvoir l'obtenir en quatre ans par les méthodes dites mitchouriniennes-prolétariennes, alors que son adversaire universitaire Nicolaï Vavilov – spécialiste bourgeois –, estime que par les méthodes classiques de croisements et de sélection, il faudrait au moins douze ans. Le praticien-prolétarien Lyssenko l'emporte ; la guerre se chargera de faire oublier sa promesse. Avec les grands procès, qui déciment des catégories entières de Soviétiques, la question de l'efficacité se double dès 1934 d'une prétention philosophico-politique. Lyssenko se coule dans les habits de Mitchourine, référence prolétarienne obligée en agronomie, et s'associe à l'académicien I. I. Prezent, idéologue du marxisme tel que revisité par Staline. La violence des attaques contre les généticiens classiques (Prezent 1936 : les généticiens sont des « saboteurs trotskystes rampant à genoux devant les derniers propos réactionnaires des savants étrangers ») est telle que le congrès international de génétique, prévu à Moscou en 1937, est repoussé puis annulé. En 1938, les principaux généticiens sont sous les verrous. Vavilov, déclaré ennemi de classe, mourra de faim en 1943 à la prison de Saratov. Dominique Lecourt montre clairement que Lyssenko apparaît dans cette première période comme l'acteur principal d'une tragédie écrite par Staline et destinée à régler les problèmes que la pratique stalinienne du pouvoir a elle-même créés, permettant ainsi la mise en place d'une nouvelle classe de cadres qui lui doit tout.

Portrait de Staline - crédits : Library of Congress, Washington, D.C.

Portrait de Staline

Portrait de Nicolaï Vavilov - crédits : Library of Congress, Washington, D.C.

Portrait de Nicolaï Vavilov

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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