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TOLSTOÏ LÉON NIKOLAÏÉVITCH (1828-1910)

Le tolstoïsme et les dernières œuvres (1877-1910)

Abandonné en 1874, Anna Karénine ne sera achevé, à contrecœur, qu'en 1877 ; Tolstoï se trouve alors au creux d'une dépression, dont les velléités suicidaires de Lévine sont le reflet, et qu'il décrira en 1879 dans une Confession (Ispoved') devant servir de préface à l'exposé de sa doctrine religieuse. Saisi par le vertige du néant, il éprouve douloureusement l'impossibilité de vivre sans la foi, qu'il découvre intacte chez les gens du peuple : le mode de vie parasitaire des classes privilégiées, dont il tentera désormais de s'affranchir, porte ainsi en lui-même sa propre condamnation. Mais la pratique religieuse à laquelle il s'astreint pendant deux ans (1877-1879) le persuade que le message biblique a été altéré par la tradition juive et l'enseignement de l'Église. Il apprend l'hébreu et entreprend un travail de critique (Critique de la théologie dogmatique, Kritika dogmatičeskogo bogoslovija, 1879-1881) et d'exégèse (Réunion et traduction des quatre Évangiles, Soedinenie i perevod četyrëkh Evangelij, 1881) qui aboutit à une version nouvelle du Nouveau Testament (Abrégé de l'Évangile, 1883) : rejetant le surnaturel, et par conséquent la divinité de Jésus, Tolstoï ramène le message du Christ à une règle de vie fondée sur deux principes, l'amour de Dieu et celui du prochain, et se résumant aux cinq commandements du Sermon sur la montagne : ne te mets pas en colère, ne commets pas l'adultère, ne prête pas serment, ne résiste pas au mal par le mal, ne sois l'ennemi de personne.

Venu à Moscou en 1881 pour l'éducation de ses enfants, Tolstoï y découvre, à l'occasion du recensement auquel il participe en 1882, le spectacle de la misère urbaine. Il en tire dans Que devons-nous faire ? (Tak čto že nam delat' ?, 1883) une condamnation sans appel des principes sur lesquels est fondée la société moderne en Russie et dans le monde entier : la propriété, moyen d'exploitation de l'homme par l'homme et source d'inégalité : l'État, instrument de contrainte perpétuant la domination des riches sur les pauvres ; l'Église asservie à l'État ; le progrès technique ne bénéficiant qu'aux privilégiés ; l'art et la science modernes placés à leur service. Cependant, il réprouve le recours à la violence révolutionnaire et se contente de prêcher et de pratiquer l'action philanthropique et la propagande de la vérité religieuse. Il prend part en 1891, 1893 et 1898 à la lutte contre la famine, défend la secte persécutée des Doukhobors et aide financièrement ses membres à s'installer au Canada, crée avec son principal disciple, Tchertkov (Čertkov), la maison d'éditions Posrednik (« L'Intermédiaire »), qui se propose de fournir au peuple les lectures dont il a besoin.

La condamnation d'une civilisation fondée sur la recherche du superflu s'étend aussi à l'art moderne que Tolstoï, dans un traité paru en 1898, Qu'est-ce que l'art ? (Čto takoe iskusstvo ?), accuse de solliciter les émotions artificielles des classes privilégiées et auquel il oppose un art populaire accessible à tous par sa clarté et sa simplicité propre à unir les hommes, et non à les diviser, en exprimant les aspirations profondes communes au plus grand nombre, c'est-à-dire leurs aspirations religieuses ; il en trouve le modèle dans « l'épopée de la Genèse, les paraboles des Évangiles, les légendes, les contes, les chansons populaires ». C'est dans cet esprit qu'il a déjà rédigé, en 1872 et en 1874, les cours récits des Quatre Livres de lecture et que, après 1885, il écrit une série de récits et de drames populaires, où la langue se simplifie à l'extrême, et où l'analyse psychologique est sacrifiée[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Michel AUCOUTURIER. TOLSTOÏ LÉON NIKOLAÏÉVITCH (1828-1910) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Tolstoï - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Tolstoï

Autres références

  • ANNA KARÉNINE, Léon Tolstoï - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER
    • 974 mots

    Commencé peu après l'achèvement de Guerre et Paix, et inspiré à Léon Tolstoï (1828-1910) par le suicide, survenu dans son voisinage, d'une femme abandonnée par son amant, le deuxième grand roman de Tolstoï, Anna Karénine, a pour cadre la société russe contemporaine, et pour thème...

  • GUERRE ET PAIX, Léon Tolstoï - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER
    • 1 178 mots
    • 1 média

    Premier grand roman de Léon Tolstoï (1828-1910), Guerre et Paix (1863-1869) se veut une histoire vraie de la guerre patriotique de 1812 contre l'invasion napoléonienne, telle que l'a vécue la génération des parents du romancier.

  • GUERRE ET PAIX (mise en scène P. Fomenko)

    • Écrit par Béatrice PICON-VALLIN
    • 1 080 mots

    La troupe de Piotr Fomenko est venue en France pour la troisième fois en 2002. À la suite de Loups et brebis d'Ostrovski (festival d'Avignon, 1997), réinvité en 1998 par le festival d'Automne avec La Noce de Tchekhov, c'est en première européenne que le théâtre des Gémeaux a accueilli...

  • NON-VIOLENCE

    • Écrit par Jacques SEMELIN
    • 5 888 mots
    • 7 médias
    Le refus de la violence par fidélité au Sermon sur la montagne est encore au cœur de la doctrine de Léon Tolstoï (1828-1910). Il en expose la théorie dans Le Royaume des Cieux est en vous (1893) et prend la défense des doukhobors, groupe religieux persécuté pour son refus de porter les armes. Sollicité...

Voir aussi