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KUROSAWA AKIRA (1910-1998)

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Une vision humaniste du monde

Évoquant la vie et la mort en unissant parfaitement réalisme et lyrisme, pleinement « humaniste » en ce qu'elle repose d'abord sur la défense de l'homme dans sa quête de l'intégrité psychique et de la liberté intérieure, la vision du monde de Kurosawa est réfléchie par plusieurs prismes. Prisme social ; c'est le caractère documentaire de l'œuvre qui prouve combien le cinéaste observe les mœurs de son pays, abordant les sujets les plus délicats avec tact : la difficulté de trouver un logement dans Subarashiki nichiyōbi (1947, Un merveilleux dimanche), l'escroquerie dans Warui yatsu hodo yoku nemuru (1960, Les salauds dorment en paix), le cancer dans Vivre, la syphilis dans Shizukanaru kettō (1949, Le Duel silencieux), le kidnapping et la drogue dans Entre le ciel et l'enfer (1963), la misère dans un bidonville de Tōkyō (1970, Dodes'kaden). Prisme psychologique qui, dans une perspective proche de celle du Dostoïevski de Crime et Châtiment, suggère des liens étroits entre des personnages apparemment très opposés : complicité entre le voleur et le policier de Chien enragé ; fraternité virile entre le gangster et le docteur de L'Ange ivre ; complémentarité des caractères de Gondo (l'industriel) et de Takeuchi (l'auteur du rapt) dans Entre le ciel et l'enfer. Prisme éthique dont les prolongements métaphysiques sont évidents, permettant à l'auteur de nous inciter à réfléchir sur la grandeur du pardon (Entre le ciel et l'enfer, Dodes'kaden, Ran), la quête du bien et de la pureté (L'Idiot, où l'utilisation symbolique de la neige, pour transcrire l'idée de pureté, et la réalité de l'hallucination, conçue comme reflet d'un univers irréductible aux normes sensibles et rationnelles, est remarquable) ou la fascination du mal (Le Château de l'araignée). Ce dernier film est l'une des plus extraordinaires transpositions d'une œuvre littéraire à l'écran, atteignant son point de perfection formelle dans la représentation de la prison où Washizu, ce Macbeth nippon, s'enferme progressivement. Prison du mal d'où il devient impossible de s'enfuir, symbolisée par les leitmotive plastiques de la toile d'araignée et du cercle qui se referme inexorablement. Plusieurs figures de cercle rythment le mouvement même de l'œuvre : cercle formé par l'état-major des samouraïs, rouet de la sorcière, galops du cheval blanc dans la cour, cercle des convives au banquet où apparaît le spectre de Miki. Au cours de la première séquence, la pauvre hutte de la sorcière évoque, dans son architecture rudimentaire, la forme même d'une toile d'araignée ; au cours de l'agonie du héros, les flèches des soldats dessinent sur les murs de bois du château et dans le corps du samouraï désespéré les mailles meurtrières de cette toile. C'est en pure perte que Washizu aura tenté d'échapper à son destin, une fois la volonté du crime assumée : fuyant en vain les flèches qui s'abattent sur lui, cloué au mur tel un monstrueux papillon, le cou transpercé par la dernière flèche, le visage métamorphosé par un douloureux rictus, il descend lentement l'escalier de bois et s'écroule au sol, la face contre terre, devant ses soldats médusés. Inoubliable séquence où barbarie et noblesse, réalisme et symbolisme, horreur et pitié s'unissent inextricablement.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

Classification

Pour citer cet article

Michel ESTÈVE. KUROSAWA AKIRA (1910-1998) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Rashomon, A. Kurosawa - crédits : Hulton Archive/ Moviepix/ Getty Images

Rashomon, A. Kurosawa

Autres références

  • DODES'KADEN, film de Akira Kurosawa

    • Écrit par
    • 1 008 mots

    Des douze films réalisés par Akira Kurosawa (1910-1998) entre 1950 et 1965, presque tous avaient été des succès au box-office. Ils avaient même eu l'insigne honneur d'être plagiés, Les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai, 1954) devenant Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven...

  • MADADAYO (Akira Kurosawa)

    • Écrit par
    • 1 356 mots

    Réalisé en 1993, Madadayo est né du désir de rendre hommage à un écrivain quelque peu oublié mais profondément admiré par Kurosawa, Hyakken Uchida (1889-1971), maître à penser d'une génération littéraire et lui-même élève du romancier Natsume Sōseki.

    Le premier plan du film est...

  • AKUTAGAWA RYŪNOSUKE (1892-1927)

    • Écrit par
    • 1 283 mots
    ...susciter un effet de perspective, il invente un, parfois plusieurs narrateurs. Dans le fourré (Yabu no naka, 1922) qui, avec Rashōmon, inspira le film de Kurosawa, est l'un des exemples les plus achevés, les plus dépouillés, de telles recherches techniques. Les points de vue des acteurs d'un même drame sont...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par , et
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Le film présenté cette année-là était une œuvre d'Akira Kurosawa, Rashomon. Un peu plus tard, on découvrait à la Cinémathèque française le plus grand cinéaste japonais, et sans doute l'un des plus grands de tout le cinéma : Kenji Mizoguchi. Mizoguchi, (1898-1956), né la même année...
  • JAPON (Arts et culture) - Le cinéma

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    ...La Guerre sur mer de Hawaii à la Malaisie[Hawai-MareiOkiKaisen, sorte de documentaire dramatisé], 1942 ; précisons que Yamamoto sera le mentor de Kurosawa) sont par contre les metteurs en scène mis en vedette, réalisant des films parfois ultranationalistes, et qui, après l'encadrement militariste,...
  • LEONE SERGIO (1921-1989)

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    Né à Rome, Sergio Leone est le fils du metteur en scène du cinéma muet Roberto Leone Roberti et de l'actrice Bice Waleran. Son nom apparaît d'abord au générique de quelques « péplums » (qui ne sont pas parmi les meilleurs du genre) comme « auteur du sujet » ou comme coscénariste. En 1959, il passe...