Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

KITSCH

On assimile habituellement le kitsch au mauvais goût, au tape-à-l'œil, à la pacotille, à tout ce qui est lourd, criard, clinquant, convenu – chromos, souvenirs touristiques, artisanat d'aéroport et autres Joconde en plastique. Pourtant, force est de constater, si l'on y regarde de plus près, qu'il existe une spécificité du kitsch – dont aucune des caractéristiques, précisons-le, ne fonctionne isolément.

Des caractéristiques multiples

La primauté de la forme d'abord : l'objet kitsch se situe à l'opposé de l'idéal prôné, tant pour l'architecture que pour le design, par le Mouvement moderne dès les années 1920, et selon lequel « la forme suit la fonction ». Le kitsch s'annonce dès que la forme s'écarte de la dimension utilitaire pour devenir décorative, ou transmettre des émotions, des valeurs.

L'hétérogénéité sémantique ensuite : réfractaire à la règle de l'unité, l'objet kitsch est souvent constitué d'éléments appartenant à des univers sans rapport entre eux (poivrier en forme de tour Eiffel, coquillage utilisé comme cendrier, horloge à coucou).

Puis vient l'inauthenticité, au sens matériel (faux bois, faux marbre, fausses poutres, bijoux en toc), mais aussi au sens figuré (stéréotypes, conformisme, poncifs, déjà-vu). S'y ajoutent surcharge et saturation : contrairement au mot d'ordre minimaliste de l'architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), « Less is more », le kitsch se complaît dans le trop, le trop plein, la démesure, ou procède par entassement, ornementation à outrance, avec grandiloquence.

Objet kitsch - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Objet kitsch

Il s'agit encore de ce qui est joli plutôt que beau. Le kitsch a plus d'affinités avec le gracieux, le mignon, l'échelle réduite (petits poulbots, chiens et chats de faïence, nains de jardin). Les rejoignent pathos et sentimentalité ; la seconde est au sentiment ce que la sensiblerie est à la sensibilité : une emphase qui fait paraître artificielle l'émotion. Cet aspect, typique de « l'art du bonheur » (selon l'expression du sociologue Abraham Moles, premier spécialiste en France du kitsch), s'exprime dans les formes (courbes ou sinueuses, exemple le « style nouille » au tournant du xixe et du xxe siècle), les couleurs (pastel, rose bonbon) et les contenus (pour la littérature, romances, mélos, romans-photos). On pense aussi aux couchers de soleil des cartes postales, à certaines émissions télévisées, à toute une imagerie sulpicienne.

Enfin, la négation du drame : à côté de ce kitsch doux (doucereux), on a pu reconnaître un kitsch « aigre » – inquiétant, dérangeant dans la mesure où il a trait à la mort (exemple certaines pierres tombales, les inscriptions « Jamais nous ne t'oublierons » en plastique ou en céramique, les crânes et squelettes de Halloween). Ce kitsch n'en demeure pas moins rassurant, tout compte fait, puisque, sous couvert d'en parler, il nie le drame de la condition humaine. On est loin de Pascal ou de Beckett. Selon Milan Kundera, qui consacre d'assez longs passages de son roman L'Insoutenable Légèreté de l'être (1984) à des développements originaux sur le sujet : « Le kitsch est un paravent qui dissimule la mort. »

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en sociologie, professeur honoraire de sociologie de l'image à l'université de Lausanne

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre KELLER. KITSCH [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Objet kitsch - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Objet kitsch

Autres références

  • ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - Une architecture plurielle

    • Écrit par Joseph ABRAM, Kenneth FRAMPTON, Jacques SAUTEREAU
    • 11 661 mots
    • 17 médias
    ...d'Hadrien, est pure idéologie. La manière ambivalente dont cette idéologie est exploitée pour amener le public à accepter la nature normative de l'environnement kitsch révèle une tendance esthétisante ; en effet, si leur distance critique permet aux auteurs le luxe de décrire un casino typique comme le paysage...
  • ART ET CULTURE, Clement Greenberg

    • Écrit par Patrick de HAAS
    • 1 406 mots
    L'article « Avant-garde et kitsch » a été écrit à un moment historique crucial (1939), celui de la catastrophe annoncée de la barbarie nazie, et publié dans Partisan Review, revue de la gauche intellectuelle antistalinienne marquée par le trotskisme. Clement Greenberg y soutient, dans...
  • COHEN STEVEN (1962- )

    • Écrit par Lise OTT
    • 1 145 mots
    ...installations et la réalisation d’objets d’ameublement détournés de leur fonction décorative initiale. Il y imprime la marque d’une pensée où se conjuguent, dans un style à la fois kitsch et inspiré d’une esthétique gay, questionnements politiques et anthropologiques, revendications érotiques et identitaires....
  • PICABIA FRANCIS (1879-1953)

    • Écrit par Arnauld PIERRE
    • 4 884 mots
    La couleur qui est dans ces toiles l'une des seules parts d'arbitraire que puisse s'autoriser Picabia renforce par les teintes outrées le kitsch de ces mises en scène, très peu bien-pensantes, qui utilisent tous les poncifs d'un érotisme de bas-étage, bordels exotiques, alcôves et bonbonnières...

Voir aussi