KARST

Relief karstique - crédits : Planeta Actimedia S.A.© Encyclopædia Universalis France pour la version française.

Relief karstique

Le mot allemand Karst (du slave kras) sert à désigner des régions caractérisées par des formes de relief originales développées dans d'épaisses masses de calcaires. À l'origine, il s'applique aux plateaux du nord-ouest de la péninsule balkanique compris entre la Slovénie et l'Istrie. L'épanouissement, dans ces régions, de formes originales, objets de minutieuses études depuis longtemps, en fait le modèle même du paysage karstique, plus ou moins complètement réalisé ailleurs.

Paysage karstique - crédits : Olive Titus/ Flickr ; CC 3,0

Paysage karstique

Au point de vue géomorphologique, l'originalité du relief karstique se manifeste par l'insignifiance, voire l'absence, de toute organisation des pentes en fonction des éléments d'un réseau hydrographique. Car l'écoulement superficiel des eaux se réduit à de rares rivières allogènes, presque sans affluents, profondément enchâssées dans les calcaires. À cette anarchie topographique s'ajoute la discontinuité fréquente de la végétation et des sols. Bien que l'on connaisse des karsts vêtus d'une couverture végétale dense, leur aspect souvent désertique contribue à accroître l'étrange beauté de leurs étendues figées et silencieuses. En fait, le mot « karst » dériverait du préindo-européen kar (pierre dure) et signifierait « désert de pierre » en celtique.

On définira d'abord les différentes formes karstiques. De leurs combinaisons variées, principalement, résultent des types de karst qu'il conviendra de caractériser. Enfin, l'analyse des particularités essentielles de l'érosion karstique permettra de comprendre leurs traits les plus originaux.

Les formes karstiques

Les formes karstiques se répartissent en deux familles selon qu'elles se développent à la surface ou à l'intérieur des calcaires.

Les formes superficielles

Les formes karstiques de surface comprennent les lapiés, les dépressions fermées et les canyons.

Lapiés

Les géographes ont adopté le toponyme savoyard de lapié (du latin lapis, pierre) pour dénommer des cavités de tailles limitées et de formes diverses, ouvertes dans les calcaires par la karstification. Leur profondeur varie de quelques millimètres à plus d'une dizaine de mètres dans le cas de formes géantes. On appelle lapiaz les surfaces qu'ils burinent.

Il existe de nombreux types de lapiés selon la forme des cavités et des cloisons intermédiaires.

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Les types linéaires opposent des rainures à des cloisons à peu près continues. Dans celui qui est à rigoles, les rainures étroites et plus ou moins sinueuses suivent la pente de la surface. Le type à cannelures, aux tracés rigides systématiquement orientés, exprime les diaclases et les fractures élargies par la karstification. Les cloisons peuvent être massives et à profils émoussés (Hautes-Alpes), ou taillées en arêtes et en crêtes acérées (« plans » provençaux). Lorsque les plans de débitage de la masse calcaire se recoupent, le réseau de rainures, quadrangulaire, détermine des tables de lapiés parsemées de blocs déchaussés sur les pentes.

Les types alvéolés varient aussi selon l'organisation et l'importance relative des cavités et des cloisons. Au type en nids de poules, constitué par une multitude de petites cuvettes, s'ajoute celui qui est à puits profonds, localisés aux intersections de fissures. Les lapiés perforants, à minces cloisons ciselées, proviennent d'un taraudage du calcaire par des trous hélicoïdaux. Lorsque les vides l'emportent, on observe des types à chicots, à aiguilles ou à pinacles, dont l'allure et la disposition trahissent l'influence de la fissuration et de la stratification de la masse rocheuse originelle.

Parc de Gunung Mulu (Malaisie) - crédits : Glen Allison/ Getty Images

Parc de Gunung Mulu (Malaisie)

Bryce Canyon - crédits : S. Pendse/ Shutterstock

Bryce Canyon

Parfois, les cloisons ou les alignements de blocs calcaires émergent entre les rainures colmatées par des produits de décalcification, sous une forêt ou une garrigue. À ces lapiés couverts (Jura, Préalpes, régions méditerranéennes) s'opposent les lapiés nus (désert de Platée, dans le Chablais), certains de ceux-ci provenant du nettoyage par l'érosion de types couverts.

Canjuers, verdon - crédits : Encyclopædia Universalis France

Canjuers, verdon

L'existence d'amas de dolomie dans le calcaire confère un aspect original aux lapiés, en raison de la moindre solubilité de la première. Leurs cloisons sont alors criblées de multiples tubulures et perforations (plan de Canjuers, en Provence ; ). Dans des calcaires très dolomitiques, le lapié prend un aspect ruiniforme qui associe, dans le plus grand désordre, des pitons, des murailles, des arches, des couloirs et des cavernes (Montpellier-le-Vieux dans le causse Noir).

Dépressions fermées

Le grand nombre et la diversité des dépressions fermées sont une des caractéristiques fondamentales du karst. Elles comprennent les dolines, les poljés et les avens.

Une doline (du slave dole : creux, bas-fond, vallée) est une dépression fermée, circulaire ou elliptique, de taille variable. Son diamètre va de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres. Dans les types en soucoupe, en cuvette, en baquet et en chaudron, la profondeur est très inférieure au diamètre. Elle s'en rapproche dans le type en entonnoir, et le dépasse nettement dans le type en puits, où elle atteint parfois 200 mètres. Dans les calcaires affectés par un pendage, on observe souvent des types dissymétriques.

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À ces formes simples s'ajoutent des formes composées. On rencontre, ainsi, des dolines emboîtées. De leur coalescence résultent des ouvalas, qui sont des dépressions fermées de grands diamètres, souvent supérieurs à 500 mètres, et délimitées par des bords aux tracés en arcs et en éperons.

Les dolines s'organisent en chapelets orientés par la fracturation des calcaires, les vallées sèches et les rives des canyons. Dans les grandes régions karstiques, leur multiplicité donne un aspect alvéolé typique aux plateaux calcaires (Grands Causses).

Le poljé (en slave, plaine) est une vaste dépression fermée, allongée et à fond plat, dominée par des versants rocheux très escarpés. Dans le karst dinarique, certains atteignent plusieurs kilomètres de longueur et de largeur (Popovo, en Herzégovine, Livno, en Bosnie) et s'encastrent de quelques centaines de mètres dans les calcaires.

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La planitude du fond des poljés est remarquable. Elle résulte, en grande partie, de l'existence d'un colmatage détritique qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur, constitué par des résidus de décalcification, des alluvions et des dépôts lacustres. Des planchers périphériques entaillés dans les calcaires, sillonnés de lapiés et crevés par des dolines et des puits dominent généralement ces plaines construites. Des buttes calcaires résiduelles en forme de meules de foin de quelques mètres de hauteur, les mogotes (Cuba, Jamaïque), ou en cônes et en monolithes escarpés atteignant parfois plusieurs centaines de mètres de hauteur et de section, les hums (en slave, colline) de l'ancienne Yougoslavie, se dressent brusquement au-dessus de ces plaines uniformes.

Poljé de Yammoûné - crédits : Encyclopædia Universalis France

Poljé de Yammoûné

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Mais l'originalité des poljés tient aussi au rôle joué par des accidents tectoniques majeurs dans leur localisation. Les puissantes séries calcaires déformées en plis lourds hachés par des failles directionnelles sont très favorables à leur développement (Alpes dinariques, mont Liban). Le poljé de Livno occupe un fossé d'effondrement. Celui de Yammoûné exploite un ensellement de la charnière anticlinale du mont Liban, souligné par des failles.

Au point de vue hydrologique, l'originalité des poljés n'est pas moindre. La plupart d'entre eux bénéficient d'apports d'eaux de ruissellement et de sources bordières. Elles s'y enfouissent dans des puits appelés ponors. Selon le rapport entre leur capacité d'absorption et ces apports superficiels, l'inondation des poljés est accidentelle, saisonnière (Lassiti, en Crête) ou permanente (poljé-lac de Janina, dans l'Épire). Dans ce dernier cas, l'extension du lac connaît des fluctuations au cours de l'année, les ponors pouvant devenir émissifs par engorgement du réseau de drainage souterrain.

On emploie le toponyme caussenard d' aven pour désigner un gouffre aux parois subverticales, communiquant avec la surface par une ouverture étroite, mais évasée en cheminée vers le bas (aven Armand, dans le causse Méjean ; aven de Padirac, dans le Quercy). L'aven conduit à des cavités souterraines.

Canyons

Antelope Canyon, Arizona, États-Unis - crédits : Mikhail Kolesnikov/ Shutterstock

Antelope Canyon, Arizona, États-Unis

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Entre les dépressions fermées, le karst superficiel comporte aussi des canyons vertigineux où s'enchâssent les rivières allogènes (Tarn, Lot, Verdon). Leurs versants présentent des surplombs, des abris sous roche, alors que des pinacles et des piliers parfois gigantesques les précèdent localement (Point sublime des gorges du Tarn).

Les cavités souterraines

Les cavités souterraines constituent des réseaux complexes, étroitement contrôlés par le canevas géométrique défini par les fissures et les joints de stratification de la masse calcaire initiale. Ils présentent des galeries étagées que relient entre elles des puits développés sur des distances verticales parfois supérieures à un millier de mètres. Les galeries se rétrécissent en boyaux ramifiés souvent terminés en cul-de-sac, ou s'épanouissent en salles aux dimensions impressionnantes (Orgnac et Padirac en France, Jiita au Liban). Leurs toits s'ornent de stalactites en cônes, en draperies ou en pendeloques, tandis que des stalagmites s'élèvent depuis leurs planchers. Quand ces édifices concrétionnaires se rejoignent, ils constituent des cloisons et des colonnes.

Les cavités de cet endokarst recèlent des dépôts d'un grand intérêt. Il s'agit de chaos de pierres et de blocs dus à des effondrements des parois et des voûtes des salles et des conduits karstiques majeurs, provoqués par la décompression liée à l'évidement et bénéficiant de la fracturation de la masse calcaire. On trouve aussi des lambeaux de terrasses alluviales édifiées par les rivières souterraines coulant librement. Dans les conduits asséchés, on a affaire à des vestiges de remplissages argilo-limoneux issus d'une décantation d'écoulements noyés très lents. Les éléments détritiques ainsi accumulés proviennent aussi bien de l'extérieur, par les rivières allogènes, que d'un réemploi du matériau des chaos par celles-ci ou par les rivières endogènes. Enfin, il convient d'ajouter à ces remplissages détritiques les concrétionnements de calcite (spéléothèmes), stalagtites, stalagmites et planchers calcitiques. Au total, l'ensemble constitue une documentation abondante, mieux conservée que celle qui est fournie par les dépôts de surface, parce que abritée et souvent indurée ou revêtue par de la calcite. Son exploitation systématique correspond à l'essor de la spéléologie scientifique.

Galerie de l'Aranzadi - crédits : Encyclopædia Universalis France

Galerie de l'Aranzadi

À titre d'exemple, on signalera le cas du réseau de la Pierre-Saint-Martin (Pyrénées-Atlantiques), dont l'exploration a révélé la richesse en dépôts endogènes capitalisés dans de vastes salles (salle de la Verna : 230 m de portée) ou d'amples galeries. Celle de l'Aranzadi renferme un remplissage argilo-limoneux varvé développé sur plus de 300 mètres de longueur et de 20 à 30 mètres d'épaisseur. Son étude stratigraphique et sédimentologique, accompagnée par des datations radiométriques à partir de concrétionnements calcitiques, a permis la restitution d'une séquence paléoclimatique débutant au Pléistocène moyen.

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Écrit par

  • : professeur des Universités, professeur émérite à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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Médias

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Relief karstique

Paysage karstique - crédits : Olive Titus/ Flickr ; CC 3,0

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