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JUMEAUX (anthropologie)

L'ambivalence rituelle

À la naissance, les jumeaux reçoivent fréquemment des noms qui évoquent le mythe de la gémellité originaire. Ces noms différencient parfois la fille du garçon, « l'aîné » du « cadet ». Ceux qui naissent après les jumeaux peuvent recevoir aussi des noms particuliers. L'imposition de ces différents noms participe de la « mise en place » des enfants au sein du lignage et de leur inscription dans une chaîne généalogique dominée par les ancêtres. Les Moundang, par exemple, confèrent à l'enfant qui naît après des jumeaux un nom spécial qui le désigne comme un jumeau mort qui « revient ». Les parents reçoivent aussi des dénominations nouvelles telles que « père ou mère de jumeaux », chez les Nyoro, « père ou mère de deux », chez les Kukuya.

Le placenta des jumeaux peut faire l'objet d'un traitement particulier ; il a généralement une place importante dans les rituels de naissance, à cause de l'influence qu'on lui attribue sur le destin ultérieur des deux nouveau-nés. À leur mort, les jumeaux ont des funérailles spéciales.

Les parents des jumeaux sont soumis à un ensemble de règles justifiées par le danger que ces derniers représentent pour eux : temps de réclusion, pratiques de purification, qui s'achèvent parfois par un rite de sortie. Ces rituels peuvent s'imposer à eux durant leur vie entière : à chaque lunaison, par exemple, ou bien lors de toute entreprise, ils doivent accomplir un sacrifice dit « de jumeaux », comme si la « fragilité » des jumeaux risquait de compromettre les actions de leurs proches. Dans la mesure où la naissance gémellaire met directement en cause la structure de la famille et de la parenté, il arrive que l'un des parents soit, en fonction des règles locales de la parenté et de l'alliance, soumis d'une manière plus impérative au système d'obligations (parce que davantage « menacé »). Les jumeaux eux-mêmes peuvent être astreints pendant toute leur vie à certains rituels.

Les rites de naissance gémellaire mettent toujours en œuvre des configurations symboliques dont les unes valent pour toutes les naissances (symbolisme des nombres suivant le sexe, symbolisme des couleurs, etc.) et dont les autres sont propres à cet événement. Le fait qu'ils incarnent la forme double fait parfois des jumeaux le paradigme d'opérations symboliques impliquant la duplication ou le binarisme (par exemple, lors de consultations divinatoires à réponse binaire, de sacrifices à deux issues possibles). Ces rites sont aussi l'occasion privilégiée de donner une expression sociale à des oppositions qui structurent la pensée symbolique du groupe : par exemple, le chaud et le froid, le cru et le cuit. Ainsi, chez les Moundang, on lave à l'eau froide (contrairement à ce qui se fait lors des autres naissances) les jumeaux nouveau-nés, en vue de conjurer les menaces de mort et de stérilité qu'ils font peser sur leurs parents. Dans les rituels gémellaires en usage chez les Labwor, la cendre joue un rôle majeur, ce qui doit s'interpréter en fonction du système des catégories cendre-froid-blancheur, dont les connotations locales sont, d'une part, la fécondité et le bien-être apportés par la gémellité, d'autre part, la conjuration des dangers que représente celle-ci. On a vu que peuvent jouer d'autres oppositions, notamment entre espace villageois et brousse. Ainsi, chez les Mossi (Burkina Faso), les jumeaux, qui incarnent des génies de brousse facétieux pénétrant dans le ventre des femmes, marquent l'irruption du monde sauvage et animal dans le monde policé du village. En Afrique orientale, les jumeaux sont aussi parfois assimilés à des oiseaux (Nuer du Soudan).

La gémellité est donc un phénomène complexe où interviennent en désordre les structures de la parenté, la pensée mythique,[...]

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Pour citer cet article

Nicole SINDZINGRE. JUMEAUX (anthropologie) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 11/04/2016

Autres références

  • AUTISME ET TROUBLES DU SPECTRE DE L'AUTISME

    • Écrit par
    • 6 809 mots
    Les résultats d’études portant sur des jumeaux montrent que la concordance chez les jumeaux monozygotes est élevée : chez des enfants jumeaux homozygotes (c’est-à-dire partageant le même patrimoine génétique), si l’un des deux présente un trouble autistique, alors l’autre présente lui aussi un trouble...
  • CLONAGE

    • Écrit par et
    • 5 025 mots
    • 3 médias
    – Le clonage par bissection de l'embryon au stade blastocyste (fig. 2b). Cette technique mime l'événement qui se produit naturellement chez de nombreuses espèces de mammifères au début du développement des jumeaux monozygotes ou jumeaux vrais. Ceux-ci sont issus de la division fortuite et...
  • ENDOMÉTRIOSE

    • Écrit par
    • 2 848 mots
    • 3 médias
    ...elles, ne développent pas, fort heureusement, d’endométriose. D’autres phénomènes pourraient intervenir, et la maladie, qui se transmet à 50 p. 100 chez lesjumeaux, pourrait mettre en jeu, comme beaucoup d’affections chroniques, des interactions entre génétique et environnement au sens large.
  • ÉPIGÉNÉTIQUE

    • Écrit par , et
    • 5 994 mots
    • 4 médias
    Chez l’homme, les vrais jumeaux ont un génome identique et partagent le même environnement in utero. Pourtant, avec le temps et les contingences de leur existence, les épigénomes des jumeaux vont diverger, tout comme leur apparence extérieure va se différencier. Des différences sont observées dans le...
  • Afficher les 13 références