NEEDHAM JOSEPH (1900-1995)
Le parcours intellectuel de Joseph Needham est marqué par une rupture. Dans un premier temps, ses études le portent vers la médecine, au Caius College de Cambridge, dont il deviendra fellow puis master. Sur ces bases, il s'oriente ensuite vers la recherche en sciences pures, travaillant de 1920 à 1942 au laboratoire de biochimie de la ville universitaire anglaise, qui, à l'époque, compte parmi ses scientifiques Julian Huxley, John Burdon Sanderson Haldane, Conrad Hal Waddington, John Desmond Bernal... En 1931, il donne à sa première spécialité dominante, la biochimie du développement embryonnaire, une œuvre de synthèse, Chemical Embryology (The University Press, Cambridge), avant de se tourner avec Waddington vers des recherches qui seront couronnées par la parution en 1942 de l'ouvrage classique Biochemistry and Morphogenesis (The University Press). Ces travaux lui donnent l'occasion d'effectuer des incursions dans l'histoire de ces disciplines ainsi que dans la philosophie, en particulier du vivant. À ces multiples centres d'intérêt s'ajoute une attention soutenue pour la théologie, qui ne le quittera jamais : on peut en mesurer l'importance au fait qu'il devint pour un temps frère de l'Oratory of the Good Shepherd. Son mariage avec une collègue biochimiste, Dorothy Mary Moyle, marque la fin de l'expérience sous cette forme, mais Needham persistera à se soucier d'une reformulation des doctrines chrétiennes qui tienne compte des acquis scientifiques. Dès cette époque, enfin, ses sympathies pour le marxisme se traduisent par un engagement socialiste.
Sont-ce les tensions résultant des engagements de nature aussi distincte qui l'ont conduit à œuvrer, sa vie durant, à leur synthèse ? Sa carrière va brusquement prendre un nouveau cours à la suite de la rencontre avec trois biochimistes chinois venus étudier à Cambridge en 1937. Sous l'effet, selon ses propres dires, du coup de foudre qu'il en éprouva pour la culture chinoise, le biochimiste qu'il était devint sinologue, historien des sciences dévoué à une cause : faire connaître au monde occidental, peu informé de ces faits avant qu'il ne s'engage lui-même dans cette voie, ce que les sciences et les techniques modernes doivent aux élaborations des érudits chinois. Il conçoit le projet d'une encyclopédie qui va être le principal vecteur de ce programme, Science and Civilisation in China, initialement prévue en un seul volume. Envoyé en Chine au nom de la Royal Society en 1942 pour aider à rompre l'isolement intellectuel que le blocus japonais impose aux scientifiques chinois, il prend contact avec les dépositaires des connaissances de l'Empire du Milieu et commence à rassembler les documents appelés à fournir la matière de cet ouvrage. Après la guerre, il poursuit tout d'abord sur la lancée de son travail de coopération scientifique en contribuant à la création de la section des sciences naturelles de l'U.N.E.S.C.O. ; puis, de retour à Cambridge, il s'attelle à la rédaction de son encyclopédie. La richesse de la matière fait rapidement éclater le format du projet, et nombre de collaborateurs vont apporter leur concours pour rédiger les volumes en nombre toujours croissant qui continuent à augmenter la série Science and Civilisation in China. La voie est ouverte en Occident, où les recherches spécialisées sur le sujet ont acquis une légitimité institutionnelle.
La conception générale qui anime l'ouvrage dépeint l'histoire des sciences comme la formation de multiples rivières – les différentes traditions scientifiques qui ont pris corps en divers endroits de la planète –, lesquelles se sont rejointes pour former l'océan que constitue la science internationale contemporaine. La méthode comparative et, corrélativement, l'histoire de la diffusion des connaissances y jouent donc un rôle prépondérant. Par ailleurs, Needham y a conforté la thèse de l'importance des milieux taoïstes dans la menée des recherches scientifiques en Chine. De manière générale, son approche de l'histoire des sciences se veut ouverte non pas seulement aux aspects conceptuels, mais également aux facteurs politiques, sociaux, économiques, philosophiques ou religieux.
Par-delà la rupture que présente le parcours intellectuel de Needham, nombre de constantes s'y manifestent : un intérêt durable pour certaines idées (une philosophie de l'organisme qu'il a poursuivie dans les contextes de ses travaux biochimiques comme de ses recherches sinologiques) ; la volonté d'une synthèse entre différents aspects de l'expérience humaine (philosophique, scientifique, historique, etc.), réalisée de manière systématique dans toutes les phases de son existence, même si elle devait en des périodes distinctes prendre des visages différents.
Trois recueils d'articles de Joseph Needham sont disponibles en français : La Science chinoise et l'Occident, coll. Points-Sciences, Seuil, Paris, 1977 ; La Tradition scientifique chinoise, coll. Savoir, Hermann, Paris, 1974 ; Dialogue des civilisations Chine-Occident. Pour une histoire œcuménique des sciences, choix de textes et présentation par G. Métailié, coll. Histoire des sciences, La Découverte, Paris, 1991. Ce dernier ouvrage comporte une description du principal projet éditorial auquel Joseph Needham a travaillé dans la seconde moitié de sa vie, ainsi que de son état d'avancement : Science and Civilisation in China, 7 vol., Cambridge Univ. Press, depuis 1954 (nombreuses éditions et/ou réimpressions). On y trouvera également la traduction en français d'une biographie de la première partie de la vie de Needham, rédigée par celle qui deviendra, en 1989, sa seconde épouse, Lu Gwei-Djen, ainsi qu'une liste des écrits de Needham entre 1980 et 1988. Cette bibliographie met à jour celle des publications de Needham antérieures à 1973, que l'on trouvera in M. Teich & R. Young dir., Changing Perspectives in the History of Science. Essays in Honour of Joseph Needham, Heinemann, Londres, 1973 – laquelle n'inclut toutefois pas les articles consacrés à la biochimie et à l'embryologie –, ainsi que les compléments apportés par Lu Gwei-Djen in Li Guohao, Zhang Mengwen & Cao Tianqin dir., Explorations in the History of Science and Technology in China, Shanghai Chinese Classics Publishing House, 1982.
D. Gazagnadou reprend à la suite de son long entretien avec Joseph Needham l'ensemble de sa bibliographie et donne en ouverture une traduction de l'autobiographie que ce dernier fit paraître sous le nom de Henri Holorenshaw en 1973 : Joseph Needham, un taoïste d'honneur, autobiographie & De l'embryologie à la civilisation chinoise, éd. du Félin-U.N.E.S.C.O., Paris, 1991.
On pourra consulter : J. Needham, Science et civilisation en Chine : introduction, édition abrégée, C. A. Ronan éd., trad. F. Obringer, éd. Philippe Picquier, Arles, 1995.
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Écrit par
- Karine CHEMLA : agrégée de mathématiques, docteur de mathématiques, directrice de recherche au C.N.R.S.
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Autres références
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HISTOIRE DES SCIENCES ARABES (dir. R. Rashed, collab. R. Morelon)
- Écrit par Karine CHEMLA
- 1 391 mots
Les traditions scientifiques qui se sont développées hors d'Occident ont été mal traitées, des décennies durant, par la grande majorité des historiens. Cet état de fait fut sans doute induit par une représentation globale de l'histoire des sciences qui a longtemps dominé : les activités scientifiques...
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