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JEAN PAUL, JOHANN PAUL FRIEDRICH RICHTER dit (1763-1825)

L'impossible synthèse du rêve et de la réalité

Les premières années du siècle voient naître les trois enfants du jeune couple, et les deux plus grands romans de Jean Paul, les plus riches aussi, tout nourris par l'élaboration intellectuelle et affective d'expériences que l'auteur entend considérer comme désormais révolues. C'est d'abord le volumineux Titan (1800-1803), qui met en scène, critique et veut condamner l'individualisme exacerbé en « titanisme » génial, sous les doubles espèces du viveur cynique Roquairol (qui finit par se donner la mort sur scène) et du véritable héros de « roman d'éducation » qu'est Albano (qui apprend progressivement les vertus de la mesure), mais aussi du personnage féminin de l'exaltée Linda (sans doute inspirée par Charlotte von Kalb). Située dans une Italie de convention qui donne lieu à quelques descriptions somptueuses et justement célèbres, l'intrigue romanesque est d'une complexité qui fait plus que friser la confusion, les caractères sont déchirés par des aspirations contraires, et le récit est surchargé non seulement de péripéties invraisemblables, mais d'une multitude d'épisodes accessoires, d'intermèdes, de hors-d'œuvre en tout genre. Le style en est pathétique, subtil et chatoyant. Mais le public réagit fraîchement, et même un auteur lui-même aussi prolixe que Ludwig Tieck déclarera qu'à tout prendre ce n'était là qu'un roman populaire, « en plus gonflé ».

L'autre fruit romanesque de la maturité de Jean Paul, ce sont les Flegeljahre (1804-1805), les « années où jeunesse se passe ». Ce roman reprend une esquisse figurant dans le premier appendice du Titan, et aussi le motif des « doubles ». L'auteur voulait tout d'abord le rédiger à la première personne et l'intituler « histoire de mon jumeau ». Les personnages de Walt et de Vult y représentent deux pôles antagonistes, complémentaires et inséparables de la même personnalité, de la même existence. C'est l'œuvre du romancier qui reste la plus accomplie, et la plus célèbre : celle aussi où la confession personnelle est le plus profonde et le plus habilement élaborée. On n'y trouve plus ce que Titan avait à la fois d'ostentatoire et de polémique (contre l'individualisme romantique, mais aussi, du point de vue formel, contre le classicisme) ; en revanche, on y goûte pleinement cette alliance de tendresse et d'ironie qui, selon l'auteur lui-même, devait réaliser la « synthèse du dualisme poésie/réalité ».

Dans le même temps où il atteint au sommet de son art, Jean Paul cherche à en dégager les principes et la technique. Non plus seulement en accumulant les notes de travail, ni en les confiant volontiers au lecteur dans le corps même du récit, mais en rédigeant cette fois une véritable poétique du roman, qu'il intitule (manifestant par là aussi la place éminente et centrale qu'il est seul alors à donner à ce genre) : École préparatoire d'esthétique (1804). Articulé en quinze « programmes » et trois « conférences », l'ouvrage n'est pourtant pas véritablement systématique. Il s'agit plutôt d'une collection d'essais. Tieck allait trop loin en n'y voyant qu'un « compte rendu d'artisan sur ses travaux, ou plutôt une recette pour écrire des livres à la Jean Paul ». À côté de classifications assez arbitraires des divers types de romans, on y trouve des analyses très fines, parfois expressément proches de celles de Schlegel, sur l'ironie et l'humour. Elles éveilleront des échos tout au long du xixe siècle, et au-delà. On y rencontre aussi parfois des formules qui assignent à l'écriture romanesque une genèse et une fonction telles qu'elles semblent être une anticipation théorique de ce que seront[...]

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Pour citer cet article

Bernard LORTHOLARY. JEAN PAUL, JOHANN PAUL FRIEDRICH RICHTER dit (1763-1825) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...à Bayreuth, un ultime héritier de la veine sentimentale, mal disposé envers les romantiques qu'il juge abscons et trop ignorants du concret quotidien, Jean-Paul (1763-1825), idole du beau sexe, continue à tisser ses toiles d'araignée baroques, compensant le monde étouffant de la province allemande par...
  • QUINCEY THOMAS DE (1785-1859)

    • Écrit par Diane de MARGERIE
    • 2 010 mots
    ...lui étant propre ». Tout comme Baudelaire, De Quincey avait célébré les «   correspondances », thème déjà rencontré chez son auteur allemand préféré, Jean Paul. Dans une formule remarquablement moderne, où semble implicitement exprimée la nécessité de devoir débusquer la trame des associations d'idées...
  • RAABE WILHELM (1831-1910)

    • Écrit par Catherine KOENIG
    • 1 270 mots
    ...(1890), littéralement « gâteau bourratif » ? Cet humour tendre, idyllique, ces coq-à-l'âne que l'on trouve dans tous les ouvrages de Raabe ont fait penser à Jean-Paul, avec lequel l'écrivain aimait à se trouver une certaine communauté d'esprit : « Je n'ai pas lu beaucoup d'ouvrages de Jean-Paul mais je sens...
  • TITAN, Jean Paul - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian HELMREICH
    • 971 mots

    Publié en quatre volumes de 1800 à 1803, Titan est souvent considéré comme le chef-d'œuvre de Jean Paul (1763-1825). L'écrivain allemand, de son vrai nom Johann Paul Friedrich Richter, jouissait au moment de la publication de ce roman d'une renommée certaine : Hespérus, un ouvrage...

Voir aussi