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GENET JEAN (1910-1986)

Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

Sa naissance bâtarde, sa jeunesse crapuleuse, sa conception de la sexualité comme abjection et transfiguration, ses années de prison, la diversité de son œuvre, la noblesse de son style contrastant avec le milieu interlope qu'il décrit, les multiples cautions intellectuelles dont il bénéficie, de Jean Cocteau à Jacques Derrida, en passant par Jean-Paul Sartre qui le couronne et le sanctifie, ses engagements politiques, enfin, font de Jean Genet un personnage hors du commun qui, comme Pier Paolo Pasolini, peut se vanter d'avoir rivalisé avec les mythes littéraires de Villon, de Sade, de Lautréamont ou de Rimbaud.

La carrière de Jean Genet connut de nombreux revirements. On peut y voir se dessiner cinq grandes périodes : la prison, avec Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose, l'époque de la reconnaissance existentialiste qui va jusqu'à Journal du voleur, la création théâtrale qui culmine avec Les Paravents, le silence et enfin l'engagement politique, que l'on crut non littéraire jusqu'à la parution posthume de son ultime chef-d'œuvre, Un captif amoureux. Romancier réaliste des bas-fonds, qui pourrait s'inscrire dans une tradition du naturalisme lyrique, autobiographe provocateur qui vire au mystique halluciné, dramaturge qui apparaît comme la coqueluche d'une bourgeoisie encanaillée, mais qui signe une étape fondamentale dans l'histoire du théâtre, enfin théoricien de la lutte armée, aux côtés des Noirs américains, de la Fraction armée rouge allemande et des Palestiniens : telles sont les figures successives qui dissimulent plus qu'elles ne révèlent l'insaisissable Genet. Autant de phases, autant de masques qui, en réalité, ne sont pas successifs, mais secrètement simultanés.

Genet se veut « l'ennemi déclaré » de ses contemporains, mais il ne renonce pas à en être le miroir. Du fond de sa prison, comme le Sade de la Bastille et de Vincennes, il s'adresse à « vous », c'est-à-dire à toute l'humanité.

Les années d'errance

Jean Genet est né le 19 décembre 1910 à Paris. Sa mère, gouvernante qui lui donne son nom, l'abandonnera sept mois plus tard à l'hospice des Enfants assistés de la rue Denfert-Rochereau. L'absence de père, cet abandon marquent l'origine d'une solitude et d'une exclusion dont l'écrivain plus tard analysera, par mille voies, les conséquences, les échos, la puissance et au fond les avantages. « D'être un enfant trouvé m'a valu une jeunesse et une enfance solitaires. D'être un voleur me faisait croire à la singularité du métier de voleur. J'étais, me disais-je, une exception monstrueuse. En effet, mon goût et mon activité de voleur étaient en relation avec mon homosexualité, sortaient d'elle qui déjà me gardait dans une solitude inhabituelle. Ma stupeur fut grande quand je m'aperçus à quel point le vol était répandu. J'étais plongé au sein de la banalité. »

Pupille de l'Assistance publique, Genet est mis en nourrice dans un village de la Nièvre, Alligny-en-Morvan. Élevé dans la religion catholique, il va être influencé par cette éducation villageoise, retenant plus tard de l'Église l'apparat, la théâtralité, le voile à la fois esthétique et hypocrite qui enrichira constamment le style métaphorique et les fantasmes du poète, comme en témoignent ses premiers titres, empruntés à la symbolique chrétienne et déviés, mais aussi la pièce posthume « Elle » – rédigée en 1955 –, où le pape, féminisé, construit et détruit sa propre image « s'irréalisant de plus en plus », « dans une auguste absence ». Le blasphème répété, hiérarchisé, nuancé sera, comme chez Sade, un moteur de son système poétique, théâtral et romanesque : les mots les plus crus, l'argot des voyous et des prostitués sont insérés dans de longues et élégantes périodes classiques[...]

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Pour citer cet article

René de CECCATTY. GENET JEAN (1910-1986) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Les Paravents</em> de J. Genet, mise en scène de Roger Blin - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Les Paravents de J. Genet, mise en scène de Roger Blin

Jean Genet - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Jean Genet

Autres références

  • LES BONNES, Jean Genet - Fiche de lecture

    • Écrit par David LESCOT
    • 889 mots
    • 2 médias

    L'argument des Bonnes (1947, nouvelle version en 1958), fut fourni à Jean Genet (1910-1986) par un fait divers survenu en 1933 : le crime des sœurs Papin, au Mans. De l'événement originel, la pièce a conservé une trame policière indécise, occupant l'arrière-plan du drame. On se gardera d'autre...

  • LE DERNIER GENET. HISTOIRE DES HOMMES INFÂMES (H. Laroche)

    • Écrit par Philippe DI MEO
    • 1 368 mots

    Dans le Dernier Genet. Histoire des hommes infâmes (Seuil, Paris, 1997), Hadrien Laroche se penche sur une période peu fréquentée de l'œuvre de Jean Genet, et souvent incomprise : celle qui fut marquée par des interventions dans le débat politique, par le biais d'articles, de préfaces et...

  • BARBEY BRUNO (1941-2020)

    • Écrit par Hervé LE GOFF
    • 791 mots

    Bruno Barbey est un photographe français, né le 13 février 1941 à Rabat. Troisième des cinq enfants d'un contrôleur civil du protectorat français au Maroc, il passe sa jeunesse entre les villes de Rabat, Salé, Marrakech et Tanger. Ses lectures de Saint-Exupéry l'incitent à se présenter au brevet de...

  • BARRAULT JEAN-LOUIS (1910-1994)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 1 337 mots
    • 1 média
    ..., qui met en scène Oh ! les beaux jours de Samuel Beckett. En 1966, Barrault a le courage d'accueillir, toujours dans une mise en scène de Blin, Les Paravents de Jean Genet. Le souvenir de la guerre d'Algérie n'est pas si lointain : de violentes manifestations ont lieu aux abords de l'Odéon ; la...
  • BLIN ROGER (1907-1984)

    • Écrit par Armel MARIN
    • 464 mots
    • 2 médias

    Metteur en scène exemplaire d'un théâtre difficile, dont le nom est attaché à la réalisation des grandes œuvres de Genet et de Beckett. Élève de Dullin, lié à Artaud, proche de Prévert et du groupe Octobre, Blin se fait connaître comme acteur avant la Seconde Guerre mondiale....

  • CHÉREAU PATRICE (1944-2013)

    • Écrit par Anne Françoise BENHAMOU
    • 2 955 mots
    ...la tension contradictoire entre naturalisme filmique (voitures sur scène, son et lumières d'ambiance) et théâtralité explicite (dispositif bi-frontal). Suit une mise en scène paradoxale des Paravents (1983) qui dépouille la pièce de la ritualité (et des paravents !) qu'y souhaitait l'auteur – Genet aurait...
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Voir aussi