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LES ANTIGONES (TG STAN)

Le nom de tg STAN a valeur de manifeste. Les initiales «  tg  » renvoient en flamand à Toneelspelersgezelshap (Compagnie d'acteurs) ; quant au sigle STAN, il signifie Stop Thinking about Names (« Cessez de penser aux noms »). Voilà qui définit le programme de ce collectif théâtral né il y a une douzaine d'années et regroupant des comédiens formés au Conservatoire d'Anvers. C'est ainsi que tg STAN a expulsé du processus de création celui dont la toute-puissance n'avait cessé de s'affirmer au cours du xxe siècle : le metteur en scène.

Qui a assisté à leur première visite en France, au cours de la saison 2000-2001, au Théâtre de la Cité internationale (Paris), aura été frappé par la vitalité d'une telle entreprise. Le collectif anversois y jouait Un ennemi du peuple d'Ibsen à bride abattue, sur un mode d'adresse frontale au public, expédiant notamment le premier acte, jugé par eux laborieux, en une dizaine de minutes. Leur approche de Quartett de Heiner Müller privilégiait la retenue et la sobriété. Point Blank, adaptation du Platonov de Tchekhov, opérait un va-et-vient entre le pathétique et le comique de situation, et démontrait une virtuosité à transformer à vue un espace scénique rempli du matériel le plus élémentaire (tables et chaises).

Le choix du répertoire présenté en décembre 2001 au Théâtre de la Bastille (Paris) est davantage sujet à controverse. L'Antigone de Jean Cocteau (1922) apparaît comme un condensé de celle de Sophocle et ne suffirait pas, en raison de sa brièveté, à occuper une soirée de théâtre. Celle de Jean Anouilh (1944) pâtit de l'histoire de sa création durant l'Occupation : la censure allemande, par bienveillance ou négligence, avait autorisé la représentation de la pièce après l'avoir interprétée comme une justification de l'ordre. Dans la tradition d'un théâtre littérarisant (également illustré par Giraudoux, Montherlant ou Sartre), Anouilh plaque sur les données du mythe de longs développements existentiels, et le débat politico-religieux se trouve recouvert par un conflit de générations mettant aux prises la compromission lucide et la force juvénile de l'engagement sans calcul.

La condition préalable à tout spectacle semble être pour tg STAN l'effacement des marques distinctives de la représentation classique. Le public qui s'installe trouvera donc les acteurs déjà présents en scène, dans un état de totale décontraction. L'espace hors du jeu est apparent, et les comédiens devenus provisoirement spectateurs de leur propre pièce y attendent leur tour, fument une cigarette, se reposent. Au commencement des Antigones, Jolente de Keersmaeker, à qui échoient les interventions chorales, narratives, et le rôle de la nourrice dans la pièce d'Anouilh, multiplie les invitations à ne pas se laisser duper, renvoyant le phénomène théâtral à ses artifices.

L'Antigone de Cocteau est déclamée rapidement et sans émotion par chacun des interprètes, juchés sur une table, scène exiguë posée sur le plateau. Plus encore qu'une manière de rappeler les données du mythe, le texte de Cocteau semble constituer un véritable échauffement à l'usage de l'acteur. Petit à petit, et presque insensiblement, une unité se forme entre celui-ci et son personnage, qui n'était pas donnée d'emblée, comme le suppose a priori la forme dramatique. Ce processus devient en lui-même l'un des enjeux de la représentation. Lors de la scène de séparation entre Antigone (Natali Broods) et Hémon (Tiago Rodrigues), dans la seconde pièce, l'unité est réalisée. Désormais va se constituer l'axe de la relation et du conflit interpersonnels, là où le mode de circulation de la parole empruntait jusqu'alors la ligne droite qui va de la scène à la salle. De sorte que l'affrontement entre Créon[...]

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

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Pour citer cet article

David LESCOT. LES ANTIGONES (TG STAN) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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