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TOURGUÉNIEV IVAN SERGUEÏEVITCH (1818-1883)

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L'art comme refuge

Dans une lettre à Pauline de février 1855, Tourguéniev exprimait son amour en citant en entier un poème de Pouchkine, L'Adieu. Lui-même entama sa carrière littéraire par de nombreux poèmes, qu'il détruisit ultérieurement pour la plupart. Cette veine lyrique s'exprime en prose à partir des Récits d'un chasseur et ne cesse de se manifester çà et là, à travers les visions fantastiques d'Apparitions (Prizraki, 1863), la méditation désespérée d'Assez (Dovoljno, 1864), l'espérance surnaturelle du Chant de l'amour triomphant (Pesnj toržestvujuščej liubvi, 1881), significativement dédié à Flaubert, enfin les Poèmes en prose (Stikhotvorenija v proze, 1882), bilan désenchanté de toutes les illusions humaines, qui ne laisse subsister que la beauté, éternisée par l'œuvre d'art, et les virtualités de la précieuse langue russe. Testament d'un artiste du verbe, auteur de tableaux délicats, tel ce « Pré Biéjine » (« Bežin lug ») des Récits d'un chasseur, à la fois d'une simplicité raffinée et d'une exquise qualité poétique, comme l'avait noté E.-M. de Vogüé.

De tels passages, où, pour un moment, l'homme semble en accord avec la nature qui l'entoure, où tout paraît précieux parce que tout est éphémère, apparaissent même dans des romans voués à première lecture à des débats d'un autre ordre (le finale mélancolique du Nid de seigneurs, le jardin de Mme Odintsov dans Pères et enfants, l'épisode de Fimouchka et Fomouchka dans Terres vierges, etc.), et inclinent le lecteur à voir en Tourguéniev un contemplatif ou un moraliste plutôt qu'un écrivain engagé au service d'une cause ou d'une idéologie. Tourguéniev, comme Gogol son maître ou Maupassant son disciple, a cherché à dépasser le réel sensible en laissant une place croissante au mystère, aux signes du destin et à l'angoisse devant la mort (Apparitions, 1863 ; Le Chien, 1866 ; La Montre, Le Rêve, 1876 ; Clara Militch, 1883) ; tout cela empêche de définir son art par une esthétique élémentaire comme celui de tant d'écrivains de son époque.

Slavophile et occidental, russe et européen, libéral et conservateur, romantique et réaliste, Tourguéniev est un témoin attachant et lucide du processus qui a amené la Russie patriarcale aux nécessaires et douloureux bouleversements du xxe siècle.

— Michel CADOT

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Michel CADOT. TOURGUÉNIEV IVAN SERGUEÏEVITCH (1818-1883) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Tourguéniev - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Tourguéniev

Assassinat d'Alexandre II - crédits : Biblioteca Ambrosiana/ De Agostini/ Getty Images

Assassinat d'Alexandre II

Autres références

  • MÉMOIRES D'UN CHASSEUR, Ivan S. Tourguéniev - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 080 mots
    • 1 média

    Ivan Serguéïévitch Tourguéniev (1818-1883) n'est qu'un jeune poète apprécié des connaisseurs lorsque paraît, en 1847, dans un numéro historique de la revue Le Contemporain – historique car c'est le premier qui paraît depuis la mort de son fondateur, Pouchkine, en 1837 –, un récit...

  • LES DÉMONS, Fiodor Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 334 mots
    • 1 média
    ...Dostoïevski comme l'ultime avatar d'une civilisation européenne déchristianisée. Elle apporte la preuve concrète du péril mortel que fait courir à la Russie le courant occidentaliste initié par le critique Biélinski et poursuivi notamment par Tourguéniev et Tchernychevski. Ayant déjà réglé ses comptes avec...
  • NIHILISME

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    • 2 médias
    ...chercher refuge dans l'exaltation du moi. Mais derrière ce narcissisme hautain et vindicatif se profile l'ombre de l'absurdité universelle. Tourgueniev, dans Père et fils (1860), imagine le personnage de Bazarov, qui laisse s'épancher une amertume proprement schopenhauerienne : « Nous n'avons...
  • VIARDOT PAULINE (1821-1910)

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    La mezzo-soprano française Pauline Viardot fut l'une des plus grandes interprètes de rôles dramatiques à l'opéra.

    Fille du ténor espagnol Manuel del Popolo Vicente García, Michelle Ferdinande Pauline García naît le 18 juillet 1821, à Paris. Elle est la sœur de la célèbre soprano...