ILLUMINATIONS, Arthur Rimbaud Fiche de lecture
Le jaillissement de la modernité
L'ensemble du recueil fonctionne à la façon de ce poème (« Marine »), par une tension entre forces centrifuges et centripètes, esthétique du fragment ou théorie d'ensemble. Il peut se lire comme une succession de « il y a », entre choses hasardeuses et mots fortuits, solderie sans espoir, ou comme une véritable entreprise s'achevant sur « Génie », poème dont Yves Bonnefoy fait « l'instant de vision sans ténèbres où une pensée s'accomplit [...] le bonheur souverain d'une sorte d'Il absolu. »
Néanmoins, rien n'est jamais fixé dans la poésie rimbaldienne. On peut la lire comme un manifeste de la modernité urbaine, démocrate et même socialiste. Mais la mise en spectacle de la ville ou des ouvriers ne reste jamais un spectacle, et la vue se transforme vite en vision, en mythe, en anarchie d'images : on quitte la ville elle-même pour un monde où « l'écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs/ où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches ». Et à celui qui, au contraire, croirait retrouver dans Illuminations la simplicité d'une relation pure avec la nature (« Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir »), les poèmes offrent un rêve qui a tôt fait d'anéantir toute référence au simple ici-bas : « J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse. » Et ce rêve lui-même n'a rien de durable à offrir : quand l'image semble s'être établie au sommet de ses ambitions, l'énonciation aussitôt la détruit : « Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n'existent pas). »
Rimbaud a ici ouvert la voie à la poésie moderne, en lui laissant un avertissement qu'elle a parfois oublié : ne jamais jouir de la trouvaille.
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Écrit par
- Hédi KADDOUR : Professeur agrégé hors-classe, École normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud
Classification
Pour citer cet article
Hédi KADDOUR. ILLUMINATIONS, Arthur Rimbaud - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )
Média
Autres références
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FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.
- Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
- 7 758 mots
- 6 médias
...conduisant à la production d’œuvres hors normes, en marge du Parnasse Les Chants de Maldoror (1869) de Lautréamont ; Une saison en enfer (1873), et les Illuminations (1886) de Rimbaud. La poésie symboliste associe une réaction idéaliste contre le positivisme naturaliste à la revendication du vers libre... -
RIMBAUD ARTHUR (1854-1891)
- Écrit par Jean-Luc STEINMETZ
- 5 063 mots
- 1 média
Le titre d'Illuminations, quant à lui, si éblouissant soit-il, n'apparut jamais sous la plume de Rimbaud (aucun des manuscrits actuellement connus ne le comporte). À plusieurs reprises, Verlaine, pour désigner des textes de Rimbaud, l'utilisera. D'abord dans des lettres envoyées à Charles de Sivry,...
Voir aussi