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HERNANI, Victor Hugo Fiche de lecture

Un théâtre « qui va »

Hernani est d'abord une pièce-manifeste, une machine de guerre contre la tragédie classique. Dans la Préface de 1830, reprenant des thèmes déjà développés ailleurs (notamment dans la Préface de Cromwell, 1827), Hugo ne cesse d'en appeler, au nom de la liberté du créateur, à l'affranchissement des règles héritées de la dramaturgie classique. Et donc à la multiplicité des lieux et au pittoresque des décors, à la dilatation du temps, au mélange des tons, au mépris des bienséances, à la circulation permanente des corps et des objets, concourant à une action spectaculaire... De fait, la pièce déploie une vitalité qui balaie toutes les conventions. Si l'on retrouve des thématiques déjà traitées aux siècles précédents (l'héroïsme cornélien, la fatalité racinienne...), nous sommes loin de la hiératique cérémonie de la tragédie classique : tout ici est mouvement, énergie. Mais à cette dynamique débridée, empruntée en partie au mélodrame, Hugo confère un sens et un souffle. Comme toujours chez lui, la vision du monde s'exprime par grandes antithèses, incarnées par des couples de personnages : faiblesse et puissance (Hernani-don Carlos), jeunesse et vieillesse (Hernani-Ruy Gomez), ombre et clarté (Ruy Gomez-doña Sol), élévation et chute (don Carlos-Ruy Gomez). Mais ces antithèses elles-mêmes ne sont nullement figées ; la grandeur des personnages vient précisément de leur capacité à se métamorphoser, en dépassant leur propre nature : le souverain tyrannique se grandit par la magnanimité ; le rebelle, ébloui, renonce à la vengeance ; et l'implacable vieillard, sinistre figure du destin, finira lui-même par être touché par le remords. « Qui donc nous change tous ainsi ? » se demande Hernani. À ce mouvement des corps et des âmes, répond celui des mots : c'est encore une fois au nom de la liberté et du « naturel » (terme repris des classiques, mais en un tout autre sens) que l'alexandrin hugolien, par ses audaces sonores et rythmiques, épouse au plus près les mouvements intérieurs des personnages : « Oh ! par pitié pour toi, fuis ! – Tu me crois peut-être/ Un homme comme sont tous les autres, un être/ Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva./ Détrompe-toi. Je suis une force qui va ! » (Hernani à doña Sol, acte III, scène 4)

Avec son librettiste F. M. Piave, Verdi a tiré du drame de Hugo un opéra, Ernani, représenté en 1844 au théâtre de la Fenice de Venise.

— Guy BELZANE

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Pour citer cet article

Guy BELZANE. HERNANI, Victor Hugo - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Hernani</em> de V. Hugo, mise en scène de Nicolas Lormeau - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Hernani de V. Hugo, mise en scène de Nicolas Lormeau

Victor Hugo à Guernesey en 1870 - crédits : Andre/ Henry Guttmann Collection/ Hulton Archive/ Getty Images

Victor Hugo à Guernesey en 1870

Victor Hugo - crédits : De Agostini/ Getty Images

Victor Hugo

Autres références

  • BICENTENAIRE DE VICTOR HUGO

    • Écrit par Pierre-Marc de BIASI
    • 982 mots

    Victor Hugo a eu deux cents ans. La France, en 2002, a fêté dignement le bicentenaire de sa naissance, dix-sept ans après avoir célébré le centenaire de sa mort, en 1985. A-t-on eu pour autant l'impression d'une redite ? Non, car, en réalité, ce n'est pas tout à fait le même Hugo qui a été à l'honneur....

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    ...au Théâtre-Français, se voit interdite par la censure pour avoir donné de Louis XIII une image par trop veule, qui pouvait évoquer le digne Charles X. Immédiatement, Hugo écrit Hernani (1830) que la censure n'ose pas interrompre. La bataille est engagée avant même la représentation. Politiquement et...
  • HUGO VICTOR (1802-1885)

    • Écrit par Pierre ALBOUY, Pierre GEORGEL, Jacques SEEBACHER, Anne UBERSFELD, Philippe VERDIER
    • 13 568 mots
    • 5 médias
    La victoire ne se remporte que sur le terrain ; Cromwell, trop vaste, ne pouvait être ni joué ni réduit. En 1830, le succès discuté d'Hernani permet à Hugo de défendre sa propre formule du drame romantique : drame de l'être double cherchant dans les luttes de l'histoire et les vicissitudes...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.

    • Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
    • 7 758 mots
    • 6 médias
    ...contraintes héritées du classicisme, telles que la règle des trois unités et la bienséance. La bataille menée par la jeunesse romantique pour soutenir Hernani le 25 février 1830 contre les « perruques » classiques a été sans doute enjolivée par les souvenirs des romantiques eux-mêmes. Elle n’en est pas...

Voir aussi