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VILLA-LOBOS HEITOR (1887-1959)

Heitor Villa-Lobos - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Heitor Villa-Lobos

On ne peut constater sans amertume que Villa-Lobos, l'un des créateurs les plus féconds qui aient jamais vécu, compositeur à l'inspiration prodigieusement diverse, n'est généralement présent dans l'esprit du grand public qu'à travers quelques pièces instrumentales, principalement pour guitare, et, surtout, un air célèbre, les Bachianas Brasileiras no 5, soit un pour cent environ de sa production.

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La redécouverte de Villa-Lobos devrait confondre le plus grand nombre non seulement par sa musique orchestrale, domaine où il s'est le plus complètement affirmé, mais aussi grâce au legs fabuleux de celui qui reste l'un des derniers grands rassembleurs de sons de l'histoire, toujours entièrement lui-même dans chaque genre : solo, duo, mélodie, trio, quatuor à cordes, ensemble instrumental, chœur...

L'illustrateur de mythes indigènes au style épique est admirable, comme le sont l'idéaliste, le créateur de portraits vivants inspirés par les hommes de sa terre, le peintre de scènes typiques. Cette création essentiellement poétique est à l'échelle de tout un continent. On aime sa générosité, sa joie, sa fantaisie. Au fil du temps, un autre malentendu finira bien par être dissipé : celui qui ferait de Villa-Lobos un auteur trop européen pour les Brésiliens, mais aussi non vraiment adapté à l'Europe, livrée au cloisonnement des habitudes d'écoute, aux esprits cartésiens dérangés par la profusion d'une création au mouvement incessant. La haute stature qui se dégage aujourd'hui, avec le recul du temps, est justement celle d'un « barde » qui, tout en alimentant son chant éperdu aux sources populaires de son pays, s'est fait largement l'héritier – comment en serait-il autrement dans un pays neuf ? – des hautes traditions européennes, depuis le chant grégorien jusqu'aux créations des premières années du xxe siècle. Finalement, l'Européen et l'Américain se reconnaîtront dans l'art audacieux de l'un des pionniers de la musique de notre temps, puissant lien culturel et affectif entre l'Ancien et le Nouveau Monde.

Une conquête de l'espace sonore brésilien

Villa-Lobos fut le premier musicien brésilien qui ait tenté de réaliser un synchrétisme des musiques de toutes les races formant le Brésil, au moment où la musique savante de ce pays, encore située dans le sillage européen, attendait une fécondation, une prise de conscience des ressources diversifiées de ce territoire. Si quelques musiciens, tels Alberto Nepomuceno (1864-1920) ou Alexandre Levy (1864-1891), furent les premiers artisans d'un lyrisme de la terre, aucun des prédécesseurs brésiliens de Villa-Lobos n'eut sa stature, sa puissance créatrice, ne put s'affirmer comme lui parmi les grands noms de la musique mondiale.

Heitor Villa-Lobos naît à Rio de Janeiro le 5 mars 1887. Son père, Raul, historien, est d'ascendance espagnole, sa mère, Noemia, a des origines indiennes. Le jeune enfant, qu'on surnomme Tuhu (« flamme »), apprend le violoncelle et la clarinette avec son père, et la musique classique est pratiquée à la maison. Toutefois, il n'aurait jamais pu se préparer à retracer l'épopée musicale de son pays s'il n'avait été tenté, contre le gré de sa famille, de rencontrer des musiciens populaires de Rio, ceux qui pratiquaient le « chôro ». Ce mot, dont l'origine a été rattachée au verbe portugais « chôrar », signifiant pleurer, désigne une sorte d'improvisation collective, de caractère sentimental, sur des instruments divers. Villa-Lobos devient lui-même guitariste auprès de ces descendants des troubadours qui improvisent sur des airs en vogue.

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Presque entièrement autodidacte, il déchiffre lui-même les auteurs classiques. Bach l'attire dès le plus jeune âge, réflexe d'autodéfense contre les musiques affadies de la fin du xixe siècle. Son instrument favori devient le violoncelle. « Mon premier traité d'harmonie fut la carte du Brésil. » Cette boutade traduit l'état d'esprit dans lequel il se trouve en 1905, lorsqu'il effectue une première exploration musicale du pays : Bahia, le Nordeste, le Sud. Au cours des années 1907-1910, après avoir suivi quelques cours à l'Institut national de musique de Rio, il entreprend de nouveaux voyages à travers le Brésil. Guidé par un instinct infaillible et par une oreille exceptionnelle, il enregistre de mémoire tous les sons jaillis de la nature, et jusqu'aux silences de celle-ci. « La forêt tropicale n'est pas comme la forêt française, qui est calme, reposante. Elle est étouffante, pleine de cris stridents, de bruits étranges, elle fait peur. » Ce que nous rappelle en ces termes le guitariste brésilien Turibio Santos définit parfaitement l'atmosphère d'où naîtront les grands poèmes symphoniques, par ailleurs marqués par le mythe.

Le musicien note les thèmes des chants indiens, s'imprègne des rythmes des Noirs de Bahia, des chants populaires urbains et ruraux. Il va jusqu'à la Barbade dans les Petites Antilles, où il élabore les Danses caractéristiques africaines, pour piano. De retour à Rio en 1912, il continue d'étudier les compositeurs classiques et romantiques. Wagner et Puccini comptent parmi les musiciens qui l'influencent, puis d'Indy, dont il travaille le Cours de composition musicale. La question des influences n'a toutefois pas de signification durable dans son œuvre, car il porte véritablement la musique en lui. La période 1912-1916, celle de l'opéra Izaht, marque le début d'une intense activité créatrice dominée par les deux trios avec piano, les deux premiers quatuors à cordes, le Premier Concerto pour violoncelle, les poèmes symphoniques Myremis et Le Naufrage de Kleonicos, et la Première Symphonie. Ses premiers concerts divisent la critique ; l'ampleur des discussions soulevées par sa musique est à la mesure du caractère dérangeant d'un génie en pleine maturation.

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Écrit par

  • : musicologue, critique musical, président du Groupe des Sept

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Heitor Villa-Lobos - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

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