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LAIRESSE GÉRARD DE (1640-1711)

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Membre le plus connu de toute une dynastie de peintres liégeois, Gérard de Lairesse, filleul de Gérard Douffet et frère de trois autres peintres, fut influencé par son père Reynier (env. 1597-1667) qui avait conquis quelque réputation par ses talents de peintre décorateur et « marbreur » (il imitait la pierre), mais Gérard fut plus marqué encore par B. Flemalle, le meilleur poussiniste de l'école de Liège. Ses débuts sont précoces et brillants. Dès 1660, il exécute pour la cathédrale d'Aix-la-Chapelle un Martyre de sainte Ursule (conservé au musée Suermondt à Aix-la-Chapelle) puis multiplie les grands tableaux religieux dans cette manière fine et décorative où il fera merveille, très française de culture (à comparer avec celle d'un Le Brun) : ainsi la Conversion de saint Augustin au musée de Caen (aux Ursulines de Liège jusqu'en 1794), le Baptême de saint Augustin au musée de Mayence (même provenance), ou bien l'Orphée aux enfers de 1662 au musée d'Asembourg à Liège. Une affaire galante dégénérée en rixe — Lairesse menait une vie assez désordonnée — l'oblige à fuir dans les Pays-Bas du Nord en 1664, d'abord à Bois-le-Duc puis à Utrecht (1665). Il s'établit enfin — et définitivement — en 1667 à Amsterdam, dont il devient alors citoyen et où il travaille un temps pour le marchand Gérard Uylenburch, un parent de Rembrandt. Très vite le succès vint, la haute bourgeoisie et les patriciens d'Amsterdam aux goûts littéraires et aristocratiques s'enthousiasmant pour cette peinture noble et cultivée, flatteuse et grandiose, qui exploitait brillamment les données de la mythologie et de l'allégorie. Lairesse s'imposa en particulier par une pratique nouvelle de la peinture de plafond. La science des raccourcis, la connaissance approfondie (et avouée comme telle dans ses écrits) des gravures de Vouet, un recours systématique à la perspective et à la déformation des corps lui assurèrent une supériorité sans égale. Alors que les plafonds peints dans les Pays-Bas étaient jusque-là des plafonds à caissons au champ morcelé, Lairesse, à la suite des Français et des Italiens, fut le premier à peindre en Hollande (par la technique de la toile marouflée et non des solives peintes) de très vastes plafonds animés par l'illusion de l'espace, ouvrant ainsi directement la voie à Jacob de Wit au xviiie siècle. L'autre atout de Lairesse fut la mise au point perfectionnée d'un savant langage allégorique puisé dans l'Iconologie de Ripa. Dès 1672, Lairesse peint aussi un plafond en trois parties pour l'hôtel particulier du bourgmestre d'Amsterdam Andries de Graeff (Concorde, Liberté du Commerce assurée par Amsterdam, Sécurité — plafond aujourd'hui remonté au Palais de la Paix à La Haye). Vers 1675, Lairesse exécute un plafond à huit compartiments pour la Leprozenhuis d'Amsterdam (conservé au Rijksmuseum d'Amsterdam) avec tout un déploiement virtuose de raccourcis et de vues plongeantes. Puis ce sont dans un genre non moins illusionniste et allégorique les grisailles géantes en imitation de bas-reliefs, peintes entre 1675 et 1683 pour la demeure de Philippe de Flines et acquises en 1970 par le Rijksmuseum d'Amsterdam. En 1684, pour la Chambre de justice des états généraux, à la Haye, sept grandes peintures murales à sujets antiques, toujours en place. De 1689, les deux très belles grisailles sur des sujets d'histoire romaine déposées par le Rijksmuseum à l'Hôtel de ville de Rotterdam. Mais telle fut la réputation « décorative » de Lairesse qu'il œuvra aussi pour les châteaux royaux d'Het Loo et de Soestdijk (décors dispersés, des éléments au Rijksmuseum et à l'Institut d'histoire de l'art d'Utrecht) et pour la Burgerzaal de l'Hôtel de ville d'Amsterdam, décor que Lairesse ne put achever à cause de sa cécité.

À partir de 1690 Lairesse devint aveugle, et occupa courageusement ses loisirs forcés à la rédaction de traités théoriques sur l'art de la peinture, que l'un de ses fils, Abraham, mit en forme et fit publier en 1701 (Fondements de l'art du dessin) et en 1707 (Le Grand Livre de la peinture). Ces ouvrages, qui constituent un véritable compendium de l'académisme militant, eurent à l'époque un immense succès et furent plusieurs fois réédités et traduits. Lairesse avait d'ailleurs toujours aimé les discussions et les théories et, depuis de longues années, se trouvait en rapports suivis avec la confrérie littéraire (Nil Volentibus Arduum), très orientée vers la littérature et le théâtre français sous l'inspiration du Dr Bidloo (pour son Anatomie, Lairesse exécuta des planches gravées).

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Comme peintre de chevalet, Lairesse ne fut pas moins actif, se spécialisant surtout dans les représentations de l'histoire antique et de la mythologie. Ses tableaux religieux furent plus rares mais non point exceptionnels cependant, comme la grande Assomption peinte en 1687 pour le maître-autel de la cathédrale Saint-Lambert de Liège (aujourd'hui à l'église Saint-Paul). Les musées sont richement pourvus en œuvres de Lairesse, notamment les musées hollandais, allemands et belges. Citons par exemple une Mort de Germanicus, sujet poussinesque par excellence, au musée de Cassel, un Christ en croix à Toulouse, un Ecce homo à Bruxelles dont la facture lisse et précieuse, le clair-obscur glacé, les effets de mise en scène théâtrale annoncent tout l'art de Van der Werff. Antiochus et Stratonice (Amsterdam), l'un des sujets préférés de Lairesse (autres versions à Oldenburg, Karlsruhe, Schwerin), Judith et le Tribunal de la Sottise, paraphrase de la célèbre Calomnie d'Apelle, la suite de l'histoire de Paul-Émile (à Liège), Antoine et Cléopâtre (Amsterdam), Cléopâtre à Tarse et Hercule entre le Vice et la Vertu (Louvre) constituent de bons exemples de la manière si reconnaissable de Lairesse : manière potelée et lisse, aux reliefs un peu boursouflés mais avec des coloris tendres et raffinés, toujours à tendance froide (notamment dans les mauves, les ocres, les bruns, les oranges), un éclairage dur, froid et tranchant, un dessin élégant, des formes rondes et harmonieuses, une présence insistante des fonds d'architecture et des lignes constructives.

L'influence de Lairesse fut considérable, notamment sur toute une école néerlandaise du fini, du lisse et du glacé qui triompha au xviiie siècle (Werff, Willem van Mieris, Verkolje, Netscher, l'Allemand Elliger, Hoet, principal imitateur de Lairesse, Terwesten, et pour le paysage néo-classicisant, les Moucheron et Glauber avec lequel il collabora, notamment dans le décor d'une maison pour Jacob de Flines — Académie des beaux-arts d'Amsterdam). L'art de Lairesse fut d'autant mieux accueilli qu'il prolongeait et reprenait, plutôt que le fini et le petit de la manière leydoise de Dou, l'académisme décoratif et soigneux des milieux post- ou para-caravagesques d'Utrecht et surtout de Haarlem (avec les Bray, César van Everdingen, Bronckhorst, Holstein, Paulus, Bor, Helt-Stockade qui avait trouvé une ultime et brillante utilisation dans le décor de l'Hôtel de ville d'Amsterdam, vers 1650-1660). Par ailleurs l'emphase narrative, le goût de la pompe et de la mise en scène théâtrale, le motif des draperies, rideaux et colonnades étaient toujours restés bien vivants à Amsterdam, chez les prérembranistes (Lastman dont le sérieux sculptural et le glacé parfait peuvent faire écho à ceux d'un Lairesse), comme chez les élèves de Rembrandt où le goût du somptueux et du théâtral chez Bol, Flinck, Lievens, Eeckhout, rencontre inévitablement Lairesse.

Il faut enfin faire mention de l'œuvre gravé de Lairesse, d'une grande prolixité, où les influences de Testa, de Perrier se conjuguent avec les souvenirs de Ripa. Beaucoup sont des travaux de vignettes pour des œuvres littéraires. Lairesse témoigne d'une invention très fertile et d'une aisance décorative quasi infatigable : on pourra le comparer avec Romeyn de Hooghe, son seul rival hollandais de taille ou avec un classicisant français comme Lepautre. Sa manière devient avec le temps de plus en plus claire et légère mais ses meilleures gravures sont celles des années 1660-1670.

— Jacques FOUCART

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Écrit par

  • : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre

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  • NÉERLANDAISE ET FLAMANDE PEINTURE

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  • RUINES, esthétique

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