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GÉOTECHNIQUE

Les déformations du sol engendrées par les charges apportées par les ouvrages de génie civil ou par les contraintes provoquées par les travaux en souterrain ne doivent pas mettre en péril les structures elles-mêmes. Elles ne doivent pas a fortiori atteindre la limite qui provoque la rupture des massifs de sol ou de roche, par exemple lors du poinçonnement du sol sous une fondation ou lors du glissement de terrain qui bouscule un mur de soutènement en entraînant la ruine de l'ouvrage. Dans certains cas, c'est la structure qui apporte des contraintes sur les massifs (appuis d'un barrage-voûte sur ses rives), dans d'autres, c'est le sol qui exerce des contraintes sur la structure (revêtement d'un tunnel). Dans tous ces exemples, il s'agit de problèmes ordinaires de mécanique, comme on en rencontre pour la construction d'une machine, d'un pont, d'un navire ou d'un avion.

Dans le génie civil cependant, la détermination des déformations des appuis sous les charges et de la charge ultime qui provoque la rupture des massifs est un problème mécanique tout à fait particulier parce qu'il se heurte à une double incertitude. Il y a d'abord celle qui est liée à la définition géométrique du milieu géologique étudié : on ne connaît bien de notre Terre que sa surface, généralement cachée sous un manteau de 5 à 20 centimètres de terre végétale ; même si celui-ci est enlevé, ne disposant ni des rayons X ni du radar, la structure d'un sol sur un site donné n'est connue en profondeur que d'une façon approximative.

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La seconde incertitude est celle qui règne sur les propriétés mécaniques – sur les qualités rhéologiques – des matériaux constitutifs des massifs de terre ou de roche ; ces propriétés sont en effet très différentes, comme le montrent les dénominations utilisées (sable, limon, argile, roches), les diverses compositions minérales, les compacités, qui sont fonction de l'histoire antérieure des chargements des massifs naturels. À l'opposé des matériaux industriels, les sols et les roches sont remplis d'imprévus, et il est nécessaire de faire sur chaque site une reconnaissance pour identifier et éprouver les matériaux naturels.

La géotechnique est la discipline qui tente la synthèse des informations nécessaires pour résoudre les problèmes appliqués que la pratique de la construction rencontre pour chaque nouveau site, pour chaque nouvelle structure. Elle fait appel à la géologie pour établir le schéma géométrique le plus proche de la réalité du sol et pour la détermination des conditions aux limites du problème mécanique. Elle fait appel à la mécanique des sols et à la mécanique des roches pour la définition du modèle de comportement des matériaux rencontrés, le but final étant la résolution d'un problème d'équilibre statique, de déformation sous charge ou de dynamique, posé par nos structures ou par la nature, comme dans le cas des glissements de terrain ou des séismes.

La géotechnique est une science appliquée et, à ce titre, elle a une incidence économique importante. Le coût des fondations d'un immeuble de grande hauteur, comme la tour Maine-Montparnasse, à Paris, représente 5 p. 100 du coût total des travaux mais, pour un garage enterré en site urbain, le coût des fouilles peut atteindre 25 p. 100 de l'ensemble ; bien entendu, il atteint 100 p. 100 pour la construction d'une digue ou d'un remblai. Une statistique portant sur trente années (de 1960 à 1990) montre que, sur 10 000 accidents de bâtiments en France, 3,5 p. 100 proviennent du sol. La statistique serait probablement moins sévère aujourd'hui, du fait des progrès réalisés dans la reconnaissance des sols depuis le milieu des années soixante-dix.

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Il est difficile de situer les débuts de la géotechnique, même si le mot est moderne. Dès que l'homme a construit quelque chose, il lui a fallu des points d'appuis sûrs. Dans une science aussi appliquée faut-il penser d'abord à la théorie ou à la pratique ? À la formulation des lois de l'équilibre ou à la réalisation des pieux des premières habitations lacustres (qui datent probablement de 7 000 ans en Suisse, en Italie et en Irlande) ? Au critère de rupture identifié par Coulomb (1773) ou bien aux grandes masses de terre et de pierres des premières pyramides ? Il est en effet difficile de croire que les constructeurs de l'église Sainte-Sophie de Constantinople, bâtie en cinq ans, de 532 à 537, sous le règne de l'empereur Justinien, ou ceux de la mosquée Suleymaniyé, bâtie en six ans, mille ans plus tard, elle aussi à Constantinople, n'aient pas fait de la géotechnique sans le savoir et sans mener une réflexion sur l'art de construire sur ou avec le sol.

On attribue cependant, classiquement, les débuts de la mécanique des sols à Vauban (1633-1707), pour les principes de calcul et la construction des murs de soutènement des ouvrages militaires et des fortifications dans son Traité de la défense de places (1687), et à Coulomb, pour la formulation du critère de rupture des sols. À partir des travaux de Coulomb, les progrès sont allés très vite, et le développement de la mécanique des sols au xviiie et au xixe siècle a été essentiellement une longue compétition franco-anglaise avec quelques autres travaux européens à Berlin, à Göttingen ou en Suède. L'École française, très mathématique, avec Coulomb, Prony, Poncelet, Boussinesq, Resal puis, au xxe siècle, avec Caquot, Mandel, Salençon a développé de nombreux aspects théoriques de la poussée des terres mais aussi de la plasticité et de la rupture, cependant que l'école anglaise, beaucoup plus pragmatique, traitait de problèmes pratiques comme les chaussées, les tranchées, les talus en remblai, les tunnels ou les murs de soutènement avec McAdam, Telford, Gregory, Rankine, Skempton, Bishop. Mais c'est Karl Terzaghi, au xxe siècle, qui a apporté à cette ancienne discipline à la fois le nom de géotechnique mais aussi l'influx de l'expérimentation en laboratoire : ce courant s'est répandu dans le monde entier à partir de 1935. On doit aussi à Terzaghi la théorie de la consolidation des couches argileuses, c'est-à-dire l'expulsion de l'eau d'un sol compressible sous l'effet d'une surcharge, ce qui engendre un tassement différé des sols, qui deviennent donc viscoélastiques.

Reconnaissance d'un site

Après l'examen d'un site sous l'angle morphologique, topographique et hydrographique, il faut déterminer la nature géologique et l'hydrogéologie locales. Dans les pays développés, il existe des cartes géologiques dont l'examen permet d'avoir une première information sur la nature des sols ou des roches, sur la structure géologique, sur le pendage des couches, etc. En France, le Bureau de recherches géologiques et minières (B.R.G.M.) conserve la trace de tous les sondages qui sont effectués, et cette banque de données est extrêmement précieuse. Mais des accidents géologiques locaux ont pu se produire, et il est indispensable de vérifier le premier schéma supposé du sous-sol au moyen de sondages qui permettent de préciser les positions relatives et les épaisseurs des couches rencontrées. La reconnaissance par sondages, puits, tranchées ou galeries est irremplaçable mais coûteuse, même si on peut en minorer le prix par des prospections géophysiques (électrique, acoustique, gravimétrique, thermographique, etc.) : l'imagerie géophysique en est à ses débuts ; elle n'a pas encore, pour l'instant, la précision de l'imagerie médicale mais ses progrès sont constants. La reconnaissance par sondage carotté permet de prélever des échantillons de sol et de roche, d'identifier les matériaux et de mesurer leurs propriétés mécaniques. Pour ces dernières, des sondages économiques destructifs avec enregistrement des paramètres de forage, puis des essais en forage (pressiomètre, pressiomètre autoforeur) ou même des essais in situ par fonçage ou battage depuis la surface (pénétromètre statique ou dynamique, scissomètre) permettent d'acquérir des informations sur la résistance ou sur la déformabilité des sols.

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Écrit par

  • : professeur, conseiller scientifique du laboratoire de mécanique des solidesprésident de G3S (GIP Etude des structures souterraines de stockage)

Classification

Médias

Sol limoneux - crédits : Encyclopædia Universalis France

Sol limoneux

Loi de Coulomb : une Terre se réduit à une droite - crédits : Encyclopædia Universalis France

Loi de Coulomb : une Terre se réduit à une droite

Surface de rupture et angle de dilatance - crédits : Encyclopædia Universalis France

Surface de rupture et angle de dilatance

Autres références

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  • CANYONS SOUS-MARINS

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    Certains versants des falaises, malgré la difficulté technique de la tâche, ont été intégralement stabilisés par de complexes paradesgéotechniques. Sur la côte des Basques à Biarritz (64), plusieurs techniques ont été conjuguées : renforcement des pieds de falaise avec établissement de digues...

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