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TRUFFAUT FRANÇOIS (1932-1984)

Une recherche de l’absolu

Deux éléments frappent dans le cinéma de Truffaut : le regard et la vitesse. Son premier court-métrage personnel, LesMistons, montre des adolescents qui observent avec envie ce qui leur est encore inaccessible, les amours d'un jeune couple. Les héros de Truffaut sont des spectateurs du monde et de leur propre vie. Bertrand Morane (Charles Denner), dans L’Hommequiaimaitlesfemmes, tente en vain d’attraper les jambes de son infirmière, juste avant de mourir. Chacun recherche un contact affectif qui lui est sans cesse refusé ou qui ne pourra jamais le combler. Adèle H. (Isabelle Adjani), dans le film éponyme (L’Histoire d’Adèle H., 1975), poursuit le lieutenant Pinson qui, lui, ne l’aime pas. Ni Claude (Jean-Pierre Léaud), ni Ann (Kika Markham), ni Muriel (Stacey Tendeter) ne réaliseront leurs passions réciproques (Les Deux Anglaises et le Continent). Le titre du dernier Doinel, L’Amour en fuite, pourrait s’appliquer à chaque film du réalisateur.

Admirateurs de Balzac, Truffaut comme Doinel poursuivent l’un et l’autre une certaine « recherche de l’absolu ». Les personnages du cinéaste sont des passionnés. Ils peuvent l’être jusqu’à la folie, comme Adèle, mais aussi comme Bernard (Gérard Depardieu) et Mathilde (Fanny Ardant) dans La Femme d’à côté (1981). C’est leur manière d’échapper à la pesanteur. Ainsi, dès le générique des 400 Coups, la caméra parcourt longuement des façades parisiennes avant de s’arrêter au pied de la tour Eiffel, puis de s’élever pour découvrir un instant le ciel. Antoine Doinel échappe à la pesanteur de ce monde sombre et étroit dans de brefs instants, lorsqu’il est pris dans le rotor de la foire du Trône ou emporté dans sa longue fuite finale vers la mer. Et il se fige en se tournant vers le spectateur : le cinéma le sauvera-t-il ou fixera-t-il à jamais son destin ? Pourra-t-il lui permettre de trouver son identité dans le miroir de l’autre, dans une image qu’il ne lui renvoie pas ?

Certains personnages recherchent cette identité dans l’écriture, Morane dans L’Homme qui aimait les femmes, Claude dans Les Deux Anglaises et le Continent, Doinel dans L’Amour en fuite... Mais l’écriture ne fige-t-elle pas le passé au lieu de le faire revivre ? Chacun raconte ce qui est arrivé et achevé, même le jeune Doinel sur le mur de la classe : « Ici souffrit... ». Une annonce de l’attitude de Julien Davenne (interprété par Truffaut) qui célèbre le culte de ses morts dans La Chambre verte. Là encore, l’image photographique qui les représente ne fait que redoubler la fixité de la mort. Reste le cinéma.

C’est le sens de la rapidité du rythme qui caractérise la plupart des films de Truffaut. « Les films sont comme des trains qui avancent dans la nuit... », dit le metteur en scène Ferrand (interprété par Truffaut) dans La Nuit américaine, chronique du tournage d’un film. Le rythme haletant de Jules et Jim fait écho au caractère de Catherine, imprévisible, toujours en mouvement. Elle échappe à la pesanteur, comme Bernadette Lafont sur son vélo, dans Les Mistons. Néanmoins, elle ne peut se dérober au poids de la morale, des hommes, de la société, et cette expérience d’apesanteur physique, morale et sociale se solde par l’échec et la mort.

Bien des personnages de Truffaut courent à l’échec, au sens littéral du terme, et n’ont d’autre ressource que se réfugier, un temps au moins, dans une cachette, hors du monde (Tirez sur le pianiste, La Sirène du Mississippi, Adèle H., Le Dernier Métro, Vivement dimanche !...)... Ils en sortent au risque d’en mourir, mais aussi de vivre. « Le cinéma est-il supérieur à la vie ? », demandait La Nuit américaine. L’Enfant sauvage, récit de la tentative du Dr Itard (interprété par François Truffaut) pour faire accéder Victor à la vie sociale, un enfant sauvage capturé dans l’Aveyron au[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. TRUFFAUT FRANÇOIS (1932-1984) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

François Truffaut - crédits : Santi Visalli/ Getty Images

François Truffaut

François Truffaut - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

François Truffaut

Marie-France Pisier - crédits : P.P. Film Polski/ Coll. Tout le cinéma/ D.R.

Marie-France Pisier

Autres références

  • LES QUATRE CENTS COUPS, film de François Truffaut

    • Écrit par Michel MARIE
    • 944 mots

    Contre toute attente, ce premier long-métrage de François Truffaut (1932-1984) se voit sélectionné pour le festival de Cannes, en 1959. De plus, il y remporte le prix de la mise en scène. À vingt-six ans, Truffaut, critique et redoutable polémiste, est cependant loin d'être inconnu. Il a violemment...

  • CAHIERS DU CINÉMA

    • Écrit par Jean-Louis COMOLLI
    • 1 152 mots
    • 1 média

    La plus ancienne et la plus connue des revues de cinéma paraissant en France. Son ancienneté même et la diversité des tendances critiques qui s'y sont succédé rendent difficile toute description (et a fortiori tout jugement) synthétique. La caractéristique la plus constante de la revue est peut-être...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...tous les moyens. Ils parviennent à réaliser leurs premières œuvres avec des budgets dérisoires : Le Beau Serge de Chabrol (1958) ; Les 400 Coups de Truffaut (1959) ; À bout de souffle de Godard (1960) ; Lola de Demy (1960). Agnès Varda avait été la première à tourner un film à petit budget, en...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - La cinéphilie

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 4 018 mots
    ...délibérément le premier contre le second et instaure une rhétorique du dénigrement – souvent justifié – qui sera reprise telle quelle trente ans plus tard par François Truffaut quand il s'en prendra à « Une certaine tendance du cinéma français ». Le plus étonnant est de voir ce type de discours s'amplifier...
  • CRITIQUE DE CINÉMA

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 5 004 mots
    • 1 média
    ...d'auteur au cinéma, on l'a vu, n'est pas nouveau. C'est le rôle capital que lui donnent les futurs acteurs de la nouvelle vague qui est cette fois décisif. Dans « Une certaine tendance du cinéma français » (Cahiers du cinéma, n0 31, janvier 1953), François Truffaut s'attaque à un cinéma de scénaristes...
  • Afficher les 20 références

Voir aussi