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RABELAIS FRANÇOIS (1483 env.-1553)

De la geste des géants à la quête initiatique

Les deux premiers romans nous font assister aux exploits du géant Pantagruel, puis de son père Gargantua. Le Pantagruel paraît sous le pseudonyme d'Alcofrybas Nasier, parce que Rabelais, connu pour ses travaux érudits, ne tient pas à signer cette facétie. Le héros doit en effet son nom à un petit démon des Mystères médiévaux, doté du pouvoir d'assoiffer les humains : dès la première ligne, l'épopée rabelaisienne est dominée par le thème de la soif, et abonde en plaisanteries sur le divin jus de la treille. Le caractère facétieux de l'ouvrage est dû aussi à la parodie des romans de chevalerie, auxquels le livre emprunte sa composition : enfance et éducation, suivies des exploits de la guerre contre les envahisseurs Dipsodes. De surcroît, Rabelais place aux côtés du héros un type de marginal pittoresque et pervers, l'étudiant Panurge, un individu qui met à mal tout le code romanesque.

Pur divertissement ? De plus en plus, la critique reconnaît dans ce roman les préoccupations sérieuses qui donneront force et vigueur aux œuvres ultérieures. Rabelais s'intéresse au problème du savoir. Au catalogue de la bibliothèque de Saint-Victor, ce reflet d'un savoir sclérosé, il oppose l'éducation humaniste définie dans une lettre de Gargantua.

Gargantua, F. Rabelais - crédits : De Agostini/ Getty Images

Gargantua, F. Rabelais

Cette réflexion est plus explicite dans le Gargantua, où Rabelais raconte la vie du père de Pantagruel. L'auteur reprend le même schéma, car nous assistons à la formation du jeune prince, puis à ses exploits contre le roi Picrochole, un voisin belliqueux. Mais le ton et l'intention semblent différents : Rabelais affirme qu'il a voulu instruire le lecteur en lui proposant un “plus haut sens”, et se réfère à Socrate. Si la critique ne méconnaît pas l'intention parodique – le texte de Rabelais est toujours un piège –, il n'en reste pas moins que le programme pédagogique et la pensée politique de Rabelais se sont précisés. Plusieurs chapitres sont consacrés à l'éducation du jeune géant selon les préceptes humanistes : apprentissage des langues anciennes, lecture des textes, méthode active, préconisés dans un traité d'Érasme dès 1529. En outre, le conflit avec Picrochole permet à l'auteur de dénoncer les absurdités de la guerre. Plus que le Pantagruel, en effet, ce deuxième roman est un livre d'actualité, les ambitions récentes de l'empereur Charles Quint constituant une menace pour la France. À cette folie meurtrière s'opposent le cycle de la vie, célébré dans les beuveries des “bien ivres”, et une joie de vivre incarnée par Frère Jean, moine rieur et gourmand. Gargantua lui fait cadeau d'une abbaye où la vie est aimable : c'est Thélème, mot grec qui signifie libre volonté.

Tout serait donc pour le mieux dans la meilleure des abbayes possibles ? Las, le démon du doute fait des ravages dans le Tiers Livre, qui traite des problèmes matrimoniaux de Panurge, tenté de prendre femme. Cette fois, Rabelais signe cet ouvrage, qui n'est pas indigne d'un homme cultivé, car il contient une réflexion sur la condition de l'homme et sur son aptitude au savoir. D'une consultation à l'autre, lorsque Panurge prend conseil de différents spécialistes, c'est un flot de paroles inutiles et prétentieuses, qui se substituent à l'action. Notre candidat au mariage est incapable de prendre une décision : certains commentateurs le présentent comme un sophiste, égaré par ses discours. Ce brouhaha sonore est amplifié par les deux grands éloges qui encadrent le livre, celui des dettes et celui du Pantagruélion, une herbe magique.

Dans ce monde d'illusions, le protagoniste ne parvient pas à exister. Panurge contemple son image. Il est déjà un personnage moderne, en quête d'identité, alors que le héros du roman médiéval s'affirmait à[...]

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Pour citer cet article

Françoise JOUKOVSKY. RABELAIS FRANÇOIS (1483 env.-1553) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Rabelais - crédits : Spencer Arnold/ Hulton Archive/ Getty Images

Rabelais

Gargantua, F. Rabelais - crédits : De Agostini/ Getty Images

Gargantua, F. Rabelais

Autres références

  • PANTAGRUEL, François Rabelais - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 484 mots

    C’est probablement à l’occasion de la foire de Lyon, en novembre 1532, que paraît chez l’imprimeur Claude Nourry le premier roman de François Rabelais (1483 env.-1553), Pantagruel, avec pour sous-titre complet : Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel,...

  • CONSCIENCE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 718 mots

    Lequel d’entre nous, enfant, traversant la rue sans regarder ou sautant du haut d’un arbre, n’a jamais été accusé d’être « inconscient » ? Nos parents ou nos éducateurs voulaient nous faire comprendre par là que nous étions aveugles au danger, que nous manquions de lucidité et de la plus élémentaire...

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...comme un auteur scandaleux de sonnets licencieux (ou Raggionamenti, 1536). Il achèvera une vie fastueuse et libertine à Venise. Ou son contemporain, François Rabelais (1483 ?-1553), qui possède une dimension littéraire supérieure. Censuré en Sorbonne, en 1533, pour Pantagruel, contraint à la fuite...
  • FEBVRE LUCIEN (1878-1956)

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 2 118 mots
    • 1 média
    ...à partir d’un problème qu’il estime mal ou insuffisamment posé et qu’il s’efforce de reprendre de manière critique. C’est le cas notamment de « l’athéisme » présupposé de Rabelais, suggéré notamment par son biographe Abel Lefranc, que Febvre estime être une projection anachronique du présent...
  • FOLENGO TEOFILO (1491-1544)

    • Écrit par Angélique LEVI
    • 474 mots

    Connu sous les divers pseudonymes de Merlino Coccajo, Merlin Coccaie, par lequel le désigne Rabelais, ou Limerno Pitocco, c'est-à-dire « le Gueux », Folengo est une des figures les plus représentatives et l'un des écrivains les mieux doués de son époque. Né à Mantoue, bénédictin à vingt ans, Teofilo...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi