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PONGE FRANCIS (1899-1988)

Entre mots et choses

Ponge a su résister à la tentation fréquente de dissocier le travail sur la langue du travail sur le réel ; alors que les modes exaltaient unilatéralement tantôt l'un (surréalisme, telquellisme), tantôt l'autre (existentialisme, marxisme), il a toujours soutenu que le parti pris des choses était pour le poète inséparable du compte-tenu des mots. Si Ponge a mis d'abord l'accent sur les choses, c'est par méfiance à l'égard des idées et des idéologies, et du langage usé qui les véhicule. Il cherche à surprendre un ordre des choses indépendant des significations que leur impose une culture sclérosée. Il recourt délibérément à la prose, pour se soustraire aux conventions du vers ; et il se plaît à réhabiliter des objets méprisés par la société et par la tradition poétique, comme le cageot, la cigarette ou le galet.

Mais cet intérêt pour « le monde muet » n'implique nullement une abdication des pouvoirs du langage. Dans la mesure où elle échappe aux prises des codes constitués, la chose en appelle à un renouvellement de la langue, elle « maintient la parole en forme ». Elle oblige le poète à « parler contre les paroles » toutes faites, à réinventer le lexique. Au lieu de s'arrêter à la signification que véhicule habituellement le nom de la chose, Ponge le fait jouer, « littéralement et dans tous les sens », en revenant à son étymologie, en le décomposant, en l'associant à d'autres mots voisins par le son ou par le sens : au bout de son fil (en latin funus), l'araignée « agit en funambule funeste ». De tels « jeux de mots » sont autant d'« objeux », de procédés heuristiques pour découvrir un aspect encore innommé et inaperçu de l'objet.

Un des aspects majeurs du travail de Ponge consiste précisément à traiter les mots comme des choses : il réactive leur « contenu imagé », en rendant par exemple aux métaphores d'usage leur sens concret (dans l'huître, on trouve « à boire et à manger ») ; il exploite à des fins mimétiques leur substance graphique (verre porte à l'initiale une lettre qui est à l'image de son référent) ou phonique (« le u de cruche sonne creux »). Cette attention prêtée à la matière verbale ne vise pas à l'élaboration d'un objet de langage clos sur lui-même, comme le voudrait une interprétation formaliste ; il s'agit bien plutôt pour Ponge, en donnant aux mots « une épaisseur presque égale » à celle des choses, de « rendre compte de la profondeur substantielle » du monde. « Réson » et raison, « fonctionnement et signification » sont indissociables : Ponge est aussi éloigné du formalisme que d'un plat réalisme.

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Michel COLLOT. PONGE FRANCIS (1899-1988) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Pierre Reverdy, André Breton et Francis Ponge - crédits : Keystone-France/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Pierre Reverdy, André Breton et Francis Ponge

Autres références

  • LA RAGE DE L'EXPRESSION (F. Ponge) - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 813 mots

    La Rage de lexpression de Francis Ponge (1899-1988) a été publié en 1952, chez Mermod, éditeur suisse romand à Lausanne. Les sept pièces qui composent cette mosaïque verbale ont été écrites bien avant, de 1938 à 1944. La sixième d’entre elles, intitulée « Le carnet du bois de pins », a fait l’objet...

  • LE PARTI PRIS DES CHOSES, Francis Ponge - Fiche de lecture

    • Écrit par Francis WYBRANDS
    • 635 mots

    C'est par Le Parti pris des choses, recueil de trente-deux poèmes écrits entre 1924 et 1939 et publié en 1942, que Francis Ponge s'est fait connaître comme poète. Deux ans plus tard, en 1944, Sartre, donnera un article – « L'Homme et les choses », repris plus tard dans Situations...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...son souffle en privilégiant des formes d’espacement et de discontinuité de la syntaxe chez André du Bouchet (1924-2001) ou Jacques Dupin (1927-2012). Francis Ponge (1899-1988) se moque souvent du titre de poète qu’il révoque, préférant célébrer le monde des objets ordinaires dans Le Parti pris...
  • POÉSIE

    • Écrit par Michel COLLOT, Dominique VIART
    • 9 394 mots
    • 2 médias
    ...pour les associer aussitôt à une série d'images porteuses d'affects et de percepts, évoquant les mouvements contrastés de l'âme, du corps et du monde. Francis Ponge, souvent revendiqué comme modèle d'une pratique littéraliste, est aussi le poète du Parti pris des choses, qu'il ne sépare pas du...

Voir aussi