FRANCE L'année politique 2022
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L’année 2022 a été marquée par un événement qui occulte tous les autres : le déclenchement, en février, de la guerre menée par la Russie de Vladimir Poutine contre l’Ukraine. À trois heures d’avion de Paris, le premier conflit de forte intensité en Europe depuis les guerres d’ex-Yougoslavie est déjà, en fin d’année, le plus meurtrier qu’ait connu le Vieux Continent depuis la Seconde Guerre mondiale. En France, il est au centre de l’action du président de la République et du gouvernement, tout en constituant un important sujet de préoccupation pour la population française, qui soutient majoritairement les victimes de l’offensive russe – comme en témoignent les nombreuses manifestations de solidarité à l’égard des réfugiés ukrainiens –, tout en subissant certaines conséquences économiques de ce conflit, dont, en particulier, une forte hausse du coût de l’énergie. La guerre n’est pas sans répercussion sur l’image de certains politiques français qui, s’étant jusque-là montrés sensibles au discours de Moscou, voire complaisants avec un régime toujours en quête d’influence sur la politique intérieure des pays occidentaux, ont fait montre de quelques hésitations dans leur condamnation de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. En outre, la guerre russe contre l’Ukraine a marqué la présidence française du Conseil de l’Union européenne au cours du premier semestre de l’année.
Les élections présidentielle (avril) et législatives (juin) sont les événements centraux de l’année politique française. Elles confirment l’effacement de plus en plus inéluctable des partis qui avaient dominé la scène politique de la Ve République, tout en confirmant le nouvel agencement tripartite du paysage politique né en 2017 : un vaste centre libéral flanqué, sur sa gauche et sur sa droite, de deux partis d’opposition porteurs d’un discours très protestataire, souvent taxé d’extrémiste. Au premier tour de l’élection présidentielle, plus de 58 % des voix se portent sur des candidats (Le Pen, Mélenchon, Zemmour, Lassalle, Dupont-Aignan, Poutou, Arthaud) n’appartenant ni au camp présidentiel ni aux partis de gouvernement de la Ve République. Il est assez cohérent dans ces conditions que la coalition soutenant le président n’obtienne pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le scrutin majoritaire à deux tours des législatives lui permet de constituer un gouvernement, mais laisse l’émiettement de la scène politique française sans traduction institutionnelle, situation porteuse de tensions et de potentiels conflits d’envergure.
En 2022, le phénomène économique le plus notable est l’accentuation d’une inflation qui avait fait sa réapparition à la fin de l’année 2021, et que la guerre et ses conséquences ont pour ainsi dire dopée. Dans ce climat d’inquiétudes multiples, le président de la République Emmanuel Macron et son gouvernement entendent malgré tout poursuivre leur politique de réformes, un temps différée par les crises de la mandature précédente (mouvements des « gilets jaunes », pandémie de Covid-19…).
Les leçons contrastées de l’élection présidentielle
Marquée par les premiers mois de la guerre russo-ukrainienne, la campagne présidentielle se déroule dans un climat relativement atone, de nombreux électeurs ayant le sentiment que le duel final sera identique à celui de 2017. Sans surprise, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, les principaux acteurs de la précédente campagne, sont candidats. La désignation des autres prétendants à la magistrature suprême a été plus laborieuse. En septembre 2021, Yannick Jadot avait été, de justesse, désigné candidat d’Europe Écologie-Les Verts (EE-LV), face à l’écoféministe Sandrine Rousseau, qui a acquis à cette occasion une stature médiatique encombrante pour le candidat écologiste. En octobre, Anne Hidalgo était devenue la candidate du Parti socialiste (PS), en battant l’un des fidèles de François Hollande, Stéphane Le Foll, bien décidé à ne pas faire campagne pour la maire de Paris. En décembre 2021, enfin, Valérie Pécresse – qui avait dû se réinscrire au parti, qu’elle avait quitté en 2019 – avait remporté la primaire des Républicains (LR) face à Éric Ciotti, que ses bons résultats du premier tour mettaient cependant en position de force. En janvier 2022, une « primaire populaire » organisée par des « citoyens » indépendants tente d’imposer Christiane Taubira comme candidate putative d’une gauche unie. Ses appels à l’union de la gauche sont immédiatement rejetés par Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo (qui s’était pourtant ralliée à l’opération avant de faire volte-face). Cette séquence renforce le sentiment de confusion à gauche. Christiane Taubira finira par renoncer faute d’un nombre suffisant de parrainages et, dès le début de l’année 2022, il est clair qu’il n’existe pas de candidature crédible à gauche en dehors de celle du leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon.
À l’extrême droite, Marine Le Pen est confrontée à la candidature du polémiste néomaurassien Éric Zemmour, qui agrège autour de son mouvement Reconquête ! un nombre non négligeable de partisans : d’anciens lieutenants de la présidente du Rassemblement national (RN) tels Nicolas Bay, Gilbert Collard, Stéphane Ravier (unique sénateur du RN) ; des personnalités de la droite traditionaliste comme Philippe de Villiers, Christine Boutin ou Jean-Frédéric Poisson ; des cadres de LR parmi lesquels on citera Sébastien Meurant, Guillaume Peltier (qui, venu de l’extrême droite, passé par l’UMP et LR, devient vice-président du parti d’Éric Zemmour)… Toujours à l’extrême droite, en dehors de Le Pen et Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan est le seul à réunir les 500 parrainages d’élus nécessaires à la candidature. Il reçoit le soutien de Florian Philippot. François Asselineau (moins de 1 % des voix en 2017) ne peut pas non plus se présenter. Quant à Jean Lassalle, candidat indépendant et inclassable « de la ruralité », il tente une synthèse à sa manière des préoccupations de la société française, tout en adoptant des thèmes issus du mouvement des gilets jaunes (référendum d’initiative citoyenne) ou des manifestations contre le passe sanitaire. Comme Zemmour et les candidats d’extrême gauche, il souhaite la sortie de l’OTAN. Sur ce dernier point, ainsi que sur la question russo-ukrainienne, le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), Philippe Poutou, se montre plus nuancé que la candidate de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud. Tout en dénonçant l’OTAN, il apporte un soutien sans réserve aux Ukrainiens.
Les taux d’abstention à la présidentielle sont parmi les plus élevés de l’histoire de la Ve République. Les 26,31 % d’abstention du premier tour n’ont été dépassés que le 21 avril 2002 (Jean-Marie Le Pen s’étant qualifié pour le second tour). Quant aux 28,01 % d’abstention du second tour, il faut remonter à l’élection de 1969 (il opposait deux candidats de droite) pour trouver un taux plus élevé. Par rapport à 2017, la participation recule de 2,6 points. Cependant, compte tenu de la diminution du nombre de suffrages blancs et nuls (8,6 % en 2017, 6,2 % en 2022), le pourcentage de suffrages exprimés reste quasiment identique.
L’effondrement des partis traditionnels est le principal constat qu’on puisse tirer du premier tour. Avec moins de 2 % des suffrages exprimés pour Anne Hidalgo (moins que Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan), le Parti socialiste connaît le plus mauvais résultat de son histoire. Quant à Valérie Pécresse, candidate de LR, elle n’atteint pas les 5 % des suffrages exprimés nécessaires au remboursement de ses frais de campagne, sort qu’elle partage avec Yannick Jadot (EE-LV) et Fabien Roussel (Parti communiste). Éric Zemmour arrive en quatrième position derrière Jean-Luc Mélenchon (21,95 %), mais dépasse à peine les 7 %, alors que sa candidature avait troublé la campagne quand les sondages lui promettaient des résultats exceptionnels. Les deux candidats qualifiés pour le second tour, Emmanuel Macron (27,85 %) et Marine Le Pen (23,15 %), améliorent quant à eux leurs scores respectifs de 2017, aussi bien en termes de pourcentage que de nombre de voix.
Dès l’annonce de la qualification de la candidate d’extrême droite pour le second tour, Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Fabien Roussel appellent à voter pour le président sortant. Jean-Luc Mélenchon répète à plusieurs reprises la formule « Vous ne devez pas donner une voix à Mme Le Pen », mais n’appelle pas à voter pour Emmanuel Macron. La consigne de Philippe Poutou est quasi identique à celle du candidat de LFI. Celui-ci profite en outre de l’entre-deux-tours pour demander « aux Français de l’élire Premier ministre » à l’occasion des législatives, et propose à une partie de ses adversaires une recomposition de la gauche autour de son mouvement. Sans surprise, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan appellent à voter Le Pen. Jean Lassalle et Nathalie Arthaud ne donnent pas de consigne de vote.
Le 24 avril, Emmanuel Macron remporte sans difficulté le second tour (58,55 %), mais son score baisse de 7,5 points par rapport à 2017, perdant près de 2 millions de voix. Marine Le Pen (41,45 %) en gagne plus de 2,5 millions : l’extrême droite est bel et bien devenue l’une des principales forces politiques du pays.
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Écrit par
- Nicolas TENZER : président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique, enseignant à Sciences Po, Paris
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