Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FÉMINISME Le féminisme des années 1970 dans l'édition et la littérature

L'autobiographie de tout le monde

Le trait peut-être le plus frappant de cette écriture féminine que le nouveau féminisme des années soixante-dix met en avant soit dans les textes qu'il produit, soit dans ceux dont il permet la redécouverte et la relecture, c'est son caractère à peu près systématiquement autobiographique. Sans parler des textes féministes, dont on a pu dire qu'ils étaient souvent très proches de la confession ou du journal, les grands textes féminins contemporains apparaissent tous, de près ou de loin, traversés par un projet d'autobiographie ou du moins de biographie écrite (reformulée sur un mode artistique). En cela, ils appartiennent aussi – et sans doute en premier lieu – à la littérature moderne.

Certaines fuient cette biographie écrite, comme Sylvia Plath, qui compose des poèmes pour reculer le moment du roman, qu'elle juge « sale », cruel, trop près de l'intimité des événements vécus. Pourtant, elle rédige La Cloche de détresse, et son dernier travail aura été un projet de roman. D'autres, en revanche, n'y résistent pas, comme Unica Zürn ou Anna Kavan rapprochées dangereusement par l'écriture de leurs fantasmes les plus implacables. Doris Lessing, Marguerite Duras, Gertrude Stein, ou même Colette ou Anaïs Nin, s'y adonnent avec tout leur art. Virginia Woolf y parvient, après le long détour d'une vie et d'une œuvre : ce sont ses derniers textes, les plus beaux peut-être, regroupés après sa mort dans un recueil intitulé Instants de vie (Moments Of Being).

L'autobiographie conçue par les femmes présente une qualité spécifique ou, du moins, nouvelle : celle de ne pas être la construction, par les moyens complexes de l'écriture, d'un sujet à peu près unifié, ou aspirant à l'être, même dans les plus grandes contradictions, comme dans les textes contemporains « masculins ». Le sujet d'une œuvre féminine n'existe pas, n'existera pas. Il se perd, se multiplie, se diffracte dans les multiples figures, les mouvements minuscules du quotidien. « Autobiographie de tout le monde », ce texte féminin vaut pour une autre vie, d'autres vies – bien vite la question même de la « féminité » ne se pose plus. Cette autobiographie insignifiante, ou plutôt non inscrite dans une logique de la représentation du sens (qu'on lise, par exemple, les absurdités algébriques de Gertrude Stein, sa manière de construire une poétique des lieux communs de la communication verbale), trace un parcours durable, mais fragmenté, accidenté, discontinu, pour des femmes qui rêvent de « flotter avec les bouts de bois à la surface de la rivière » (Virginia Woolf).

— Brigitte LEGARS

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de jeunes filles de Paris, agrégée de l'Université (lettres)

Classification

Pour citer cet article

Brigitte LEGARS. FÉMINISME - Le féminisme des années 1970 dans l'édition et la littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Monique Wittig - crédits : Les Lee/ Daily Express/ Hulton Archive/ Getty Images

Monique Wittig

Virginia Woolf - crédits : George C Beresford/ Hulton Archive/ Getty Images

Virginia Woolf

Chantal Akerman en 1985, sous l’affiche de son film <em>Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles</em> - crédits : Marion Kalter/ AKG images

Chantal Akerman en 1985, sous l’affiche de son film Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles

Autres références

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par , , , et
    • 24 585 mots
    • 32 médias
    ...littérature des femmes à l'écriture introspective du moi et à l'écriture-thérapie qui sera le ferment du courant dominant de la littérature des années 1980. Oppression, soumission, répression sexuelle, viol, solitude, isolement, froideur sont les thèmes principaux de la littérature des femmes qui n'évite ni...
  • ALLEN PAULA GUNN (1939-2008)

    • Écrit par
    • 566 mots

    Poétesse, romancière et essayiste américaine, Paula Gunn Allen mêle dans son œuvre les influences du féminisme et de ses racines amérindiennes.

    Paula Gunn Allen, née Paula Marie Francis le 24 octobre 1939 à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, est la fille d'un Américain d'origine libanaise et d'une...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par , , , , , et
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    Le roman néo-réaliste des années 1950 a rencontré un écho dans le roman féministe, apparu au cours des années 1960. Là aussi, on décrète que la littérature, pour sonner juste et avoir quelque force, doit être tirée du vécu ; seconde source d'inspiration : le culte de la solidarité féminine, qui a pour...
  • Afficher les 102 références