HESSE EVA (1936-1970)
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L'artiste américaine Eva Hesse, comme souvent ceux qui sont morts jeunes, est devenue, dans l'histoire récente de l'art, un véritable mythe, d'où la difficulté, mais aussi la nécessité, de dresser d'elle un portrait qui ne cède pas à la fascination. Le fait qu'elle ait produit ses pièces les plus importantes dans la seconde moitié des années 1960, période clé s'il en fut pour l'art contemporain, ajoute à la complexité d'une position atypique tant par la brièveté de sa carrière que par son irréductibilité aux diverses tendances qui s'affirmèrent alors.
Dessiner dans l'espace
Eva Hesse est née en 1936 à Hambourg, dans une famille d'origine juive ; son père était avocat. Dès 1938, ils doivent fuir pour échapper aux nazis, d'abord à Amsterdam, puis à New York, où la famille émigre en 1939. Ce traumatisme s'augmentera pour la jeune Eva de la séparation de ses parents, puis du suicide de sa mère. Si ces éléments biographiques ne sauraient fonder principalement le commentaire de l'œuvre, il n'est pas douteux qu'ils aient profondément marqué l'univers sensible et mental d'une jeune fille qui, dès le lycée, souhaite devenir artiste et qui, après quelques mois d'études en design publicitaire, suit les cours de la Cooper Union et y obtient un diplôme, avant d'entrer à la Yale School of Art and Architecture. Elle y rencontre le peintre Josef Albers, qui enseigne la couleur, et dont la méfiance envers l'expressionnisme abstrait provoque entre eux quelques tensions et désaccords.
Diplômée des Beaux-Arts de Yale, Eva Hesse revient à New York en 1959. Elle y fréquente Claes Oldenburg, dont les sculptures molles l'intéresseront plus tard. L'année suivante, elle fait la connaissance de Sol LeWitt, qui restera son ami fidèle, ainsi que de Robert Ryman et de Robert Mangold, qui, tous trois, allaient figurer parmi les représentants les plus en vue de l'art minimal. Elle rencontre enfin Lucy Lippard, critique d'art qui contribuera largement à la faire connaître. Eva Hesse, à cette époque, peint et dessine sans véritablement produire quelque chose qui la satisfasse. Entre abstraction et figuration, elle use de la répétition d'un même motif, aboutissant au thème de la prolifération, qui parcourt toute son œuvre. Sa peinture dénote l'influence de Willem De Kooning, et un intérêt évident pour Jasper Johns, qui sera plus durable. En 1961, elle épouse le sculpteur Tom Doyle, et l'année suivante, réalise sa première sculpture.
L'année 1964 est assurément décisive dans sa brève carrière. Avec Tom Doyle, Eva Hesse est invitée par l'industriel et collectionneur allemand Friedrich Arnhard Scheidt à résider dans une partie de ses usines désaffectées, à Kettwig-am-Ruhr, près de Düsseldorf. Tout le nécessaire leur est fourni, matériaux et techniciens. Au-delà du retour forcément problématique à la terre de ses origines, c'est là que l'artiste découvre toutes sortes de matières, des cordes et du plâtre en particulier, qui, bien qu'elle continue à pratiquer un dessin certes rigoureux, mais vibrant, vont l'orienter définitivement vers la sculpture.
C'est d'abord par la conception de reliefs colorés, fixés sur des panneaux et constitués de toutes sortes de matériaux ou de rebuts (ficelle, plâtre et morceaux de métal), qu'elle opère une transition entre peinture et sculpture, en même temps qu'elle fait preuve d'une parfaite conscience historique, entre l'héritage du pop art et un univers plus personnel, où cohabitent déjà l'organique et la règle. La première et la plus représentative de ces pièces s'intitule Ringaround Arosie (1965, MoMA, New York), et l'on est frappé par le joyeux humour qui s'en dégage : l'artiste revendiquera toujours, y compris dans ses pièces les plus épurées, un sens de la dérision, voire de l'absurde, qu'elle nourrit de nombreuses lectures – celle de Beckett en particulier. La corde, peu à peu, va se séparer du plan pictural et acquérir une autonomie qui marque le basculement de son œuvre vers la sculpture.
Après sa première exposition personnelle à la Kunsthalle de Düsseldorf, en août 1965, l'artiste rentre à New York. S'ouvre alors la période de la maturation et aussi de la reconnaissance. En janvier 1966, elle termine Hang Up (Art Institute, Chicago), qu'elle-même, puis la critique considèrent comme l'une de ses œuvres les plus importantes. Il s'agit d'un cadre vide, recouvert de drap et d'où, à partir du bord supérieur gauche, part un tube en acier entouré de corde, qui, après s'être avancé d'un mètre environ vers le spectateur et avoir effleuré le sol, remonte en boucle pour se ficher sur la droite de la partie basse du châssis. L'essentiel du vocabulaire dialectique d'Eva Hesse s'y trouve : la rigueur et l'organicité, la souplesse et l'orthogonalité, un certain humour également, à la fois pessimiste et humaniste inspiré de l'auteur de Molloy, Samuel Beckett.
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Écrit par
- Jean-Marc HUITOREL : critique d'art, commissaire d'exposition et enseignant
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