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RENAN ERNEST (1823-1892)

L'« Histoire des origines du christianisme »

Une part de l'œuvre de Renan se trouve aujourd'hui déclassée. Si le Corpus inscriptionum semiticarum dont il fut l'initiateur (1867) maintient son renom d'orientaliste, ni son essai De l'origine du langage (1848), ni son Histoire générale des langues sémitiques (1855) n'ont conservé de valeur scientifique, mais ces ouvrages l'ont préparé à construire le monument qui devait occuper toute sa vie, l'Histoire des origines du christianisme, avec son nécessaire complément, l' Histoire du peuple d'Israël.

Encore à Saint-Sulpice (1845), Renan avait écrit un curieux Essai psychologique sur Jésus-Christ. En 1849, son article sur les Historiens critiques de Jésusaffirmait l'intérêt du problème des origines du christianisme, qu'on devrait, disait-il, étudier en se gardant de tout préjugé doctrinal. Présage significatif : la grandeur de Renan est d'avoir, pour la première fois en France, désacralisé les recherches bibliques et fondé une exégèse laïque. Son séjour à Beyrouth de 1860-1861, dont il exposa les résultats dans la Mission de Phénicie, cristallisa son projet d'une Vie de Jésus, qu'il commença à rédiger en 1861.

Sa leçon inaugurale au Collège de France (22 février 1862), où il parlait de Jésus comme d'un « homme incomparable », heurta l'opinion conservatrice. La polémique contre lui redoubla de violence lorsque parut la Vie de Jésus (1863), dont le succès fut retentissant. Dans un style très étudié, il faisait revivre Jésus dans son cadre historique, en rejetant l'appareil du fidéisme chrétien. Six volumes suivirent, racontant l'histoire du christianisme depuis Les Apôtres (1866) jusqu'à Marc-Aurèle (1881). Puis Renan remonta du christianisme à sa source dans les cinq volumes de l'Histoire du peuple d'Israël (1887-1893).

Ce chef-d'œuvre est d'un historien philosophe et non d'un théologien. Renan se propose une étude d'embryogénie : il veut, dit-il, traiter en naturaliste de la naissance d'une religion. Renan estime en outre que les faits, incomplètement connaissables, requièrent de l'historien une sorte de divination qui supplée à la pénurie des sources. L'historien, selon lui, doit retenir au besoin les légendes qui montrent « sinon comment les choses se sont passées, du moins comment on les conçut ». Ainsi, son œuvre d'historien est positiviste par son présupposé constant que « tout dans l'histoire a son explication humaine », mais, par l'imagination et la sensibilité qu'il met à l'interprétation des faits, on y retrouve la tradition romantique. Le choix même d'un sujet où la documentation certaine est peu abondante atteste que, pour lui, l'essentielle qualité de l'historien est « le sentiment des choses primitives, la souplesse qui fait deviner et sentir des états d'âme ». Savant scrupuleux, il s'attache à « discerner les degrés divers du certain, du probable, du plausible, du possible » et réunit dans un ensemble harmonieux érudition et ingéniosité, au risque de réduire l'histoire à ce qu'il a un jour appelé « une petite science conjecturale ».

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Écrit par

  • : professeur émérite à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Pour citer cet article

Jean GAULMIER. RENAN ERNEST (1823-1892) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ernest Renan - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Ernest Renan

Autres références

  • QU'EST-CE QU'UNE NATION ? Ernest Renan - Fiche de lecture

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 1 081 mots
    • 1 média

    Conférence prononcée le 11 mars 1882 à la Sorbonne et publiée le 26 mars suivant dans le bulletin de l'Association scientifique de France, Qu'est-ce qu'une nation ? apparaît comme le testament politique de Renan (1823-1892). Partagée entre la religion et la science, l'existence...

  • ARYENS

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 1 028 mots

    Francisé en « aryen », le terme sanskrit ārya (avestique, airya) signifie « excellent, honorable, noble ». Ainsi se désignent, avec la morgue coutumière des conquérants, les populations de langue indo-européenne qui, vers la fin du IIIe millénaire avant l'ère chrétienne,...

  • BEST-SELLER

    • Écrit par Pierre NORA
    • 3 388 mots
    • 3 médias
    ...l'échappée hors de l'espace sociologique naturel du livre, son explosion touchant des publics pour lesquels il n'était pas fait. C'est la Vie de Jésus de Renan qui, tiré à 10 000 exemplaires en juin 1863, s'enlève en un an à 65 000 et, trois mois après l'édition abrégée, s'envole à nouveau à près de 82 000...
  • DÉCADENCE

    • Écrit par Bernard VALADE
    • 9 945 mots
    Elle a aussi profondément marqué la pensée de Renan, qui affirmait dans L'Avenir de la science publié en 1890 mais écrit en 1848 : « Décadence est un mot qu'il faut définitivement bannir de la philosophie de l'histoire. » La civilisation lui paraissait alors à jamais fondée, et dénué de sens que...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.

    • Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
    • 7 758 mots
    • 6 médias
    ...la virulence des écrivains catholiques, de Barbey d’Aurevilly à Louis Veuillot ou Léon Bloy. La permanence du sens du religieux et son ambiguïté expliquent les succès d’ouvrages peu orthodoxes comme Paroles d’un croyant (1834) de Lamennais et surtout la Vie de Jésus (1863) d’Ernest Renan.
  • Afficher les 8 références

Voir aussi