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HEMINGWAY ERNEST (1899-1961)

Le testament d'un lutteur

Son œuvre est somme toute un immense Bildungsroman, une longue autobiographie romancée, qui s'est déroulée parallèlement à sa vie avec un retard sans cesse décroissant depuis les premières nouvelles du cycle de Nick Adams jusqu'à son dernier roman, Le Vieil Homme et la mer (The Old Man and the Sea, 1952), où on le voit vieillard, en vétéran des luttes humaines, mais toujours prêt à foncer vers l'avenir et l'aventure. Ce livre fut son chant du cygne, l'adieu de Prospero à ses sortilèges. On l'a salué comme un chef-d'œuvre et il lui a valu d'obtenir le prix Nobel de littérature en 1954, mais ce n'est peut-être pas le plus grand de ses romans, bien que ce soit le plus sage. Hemingway a voulu y définir l'essentiel de sa philosophie. Le vieux pêcheur à la Passion de qui nous assistons (nombreuses sont les métaphores chrétiennes) représente l'homme aux prises avec les forces aveugles de l'univers qui cherchent à le détruire, mais qui ne peuvent pas vraiment l'écraser, parce que, comme l'a dit Pascal, « il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien ». Cet univers, cependant, n'est pas qu'un continuel déchaînement de violence, il est aussi un continuum d'amour. Il existe entre toutes les créatures des liens de fraternité que le vieux pêcheur sent très bien. Il s'accuse même avec véhémence d'avoir par traîtrise capturé et tué ce grand poisson qui ne lui voulait aucun mal. L'homme est condamné à mourir et à tuer pour vivre, mais peut trouver réconfort dans cette pensée que Robert Jordan avait pressentie et que le vieux pêcheur sait vivre à fond, à savoir qu'« aucun homme n'est jamais seul en mer ». À la notion de solitude irréductible du héros succède ainsi, au terme de cette œuvre, l'idée d'une vaste solidarité cosmique qui lie tous les êtres et tous les hommes.

Après ce roman, Hemingway ne sut plus que se pencher sur son passé, dans Paris est une fête (A Moveable Feast, 1952), ou revisiter les lieux où il avait été heureux, l'Afrique orientale et l'Espagne, d'où il rapporta non plus des livres cette fois, mais de simples reportages. Sa vitalité en apparence intacte était en fait très diminuée. Il quitta Cuba en 1960 pour s'installer dans l'Idaho, mais dut bientôt se faire hospitaliser pour soigner son foie et son hypertension. Ne pouvant supporter l'idée de sa déchéance physique et de son impuissance à écrire, il se tua chez lui d'un coup de fusil dans la tête le 2 juillet 1961.

— Roger ASSELINEAU

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Roger ASSELINEAU. HEMINGWAY ERNEST (1899-1961) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Ernest Hemingway correspondant de guerre - crédits : Kurt Hutton/ Getty Images

Ernest Hemingway correspondant de guerre

Pour qui sonne le glas, S. Wood - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Pour qui sonne le glas, S. Wood

Autres références

  • ANDERSON SHERWOOD (1876-1941)

    • Écrit par Jean-Paul ROSPARS
    • 799 mots

    Très peu connu en France, Sherwood Anderson a laissé une œuvre diverse et importante : une trentaine de volumes où alternent romans, nouvelles, poèmes en prose, reportages et autobiographies très libres, publiés entre 1916 et 1941 ; une œuvre qui a suscité d'âpres controverses, qui a été ensuite relativement...

  • BACALL LAUREN (1924-2014)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 647 mots
    • 1 média
    ...de l'angoisse (To Have and Have Not, 1944). Hawks avait beaucoup transformé, avec la collaboration de William Faulkner et de Jules Furthman, le roman d'Ernest Hemingway, conservant ce qui correspond au premier quart du film. En centrant l'intrigue sur les relations du couple Harry Morgan/Mary Browning...
  • CORRIDA

    • Écrit par Barnaby CONRAD
    • 10 675 mots
    • 7 médias
    ...précise, détaillée et objective de la tauromachie, et certainement aussi le plus influent, fut Death in the Afternoon (Mort dans l'après-midi, 1932) d'Ernest Hemingway. L'écrivain intégra également des scènes de tauromachie dans ses romans Le soleil se lève aussi (1926) et Pour qui sonne...
  • GÉNÉRATION PERDUE

    • Écrit par Jean-Paul MOURLON
    • 288 mots
    • 2 médias

    Au sens large, la génération postérieure à la Première Guerre mondiale ; mais, de façon plus précise, le groupe d'écrivains américains parvenus à l'âge adulte pendant la guerre et qui bâtirent leur réputation littéraire au cours des années vingt. Le terme a pour origine une remarque faite par ...

Voir aussi