ÉMIGRATION (1789-1814)

Mesure de sûreté pour quelques personnages voués à la vindicte populaire après les troubles de juillet 1789 qu'ils ont vainement tenté de réprimer, l'émigration apparaît vite comme une révolte contre la Révolution. Le comte d'Artois, frère cadet du roi, le prince de Condé et sa famille, ainsi que nombre de grands seigneurs hostiles au nouvel ordre des choses, dans lequel ils n'ont plus de place ou qu'ils refusent, gagnent Turin. Pendant toute l'année 1790, ils y travaillent à obtenir le concours des puissances étrangères pour appuyer un soulèvement, contre la capitale, de certaines régions méridionales restées fidèles à la monarchie.

La recrudescence des troubles, tant en province qu'à Paris, précipite le mouvement d'émigration que légitime l'appel solennel du prince de Condé à la noblesse française, invitant celle-ci à se ranger sous ses drapeaux pour reconquérir le royaume et délivrer le roi. Aux gentilshommes fuyant les jacqueries des campagnes ou les émeutes des villes s'ajoutent bientôt les officiers et les membres du clergé réfractaires au serment civique que veut leur imposer l'Assemblée. Le sens de l'honneur militaire, chez les uns, les scrupules de conscience, chez les autres, leur représentent l'émigration comme un devoir auquel ils obéissent d'autant plus que Louis XVI, qui jusqu'en 1791 a semblé désapprouver l'émigration, leur en donne l'exemple par sa fuite manquée de Varennes.

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De Turin, le centre de la France émigrée se transporte à Coblence, où, en juillet 1791, s'installent le comte d'Artois et son frère aîné, le comte de Provence, échappé sans encombres de Paris. Tous deux y tiennent, jusqu'à l'été de 1792, une sorte de cour dénoncée par ceux qui n'en partagent ni les plaisirs ni les honneurs comme un foyer d'intrigues, un lieu de corruption et un gouffre d'argent.

Un moment dispersées, pour éviter aux souverains qui leur donnent asile les représailles de l'Assemblée, les diverses formations militaires émigrées se regroupent, au printemps de 1792, après la déclaration de guerre de la France à l'empereur, en trois corps. Le plus important, celui de l'armée des princes, comprend environ dix mille hommes, mal équipés, mal nourris, point payés, couchant à la belle étoile, mais qui supportent allègrement leur misère en pensant à la victoire prochaine.

La mésentente des alliés, l'impéritie du duc de Brunswick, généralissime de l'armée austro-prussienne, et aussi la résistance imprévue de Dumouriez transforment cette expédition en une affreuse déroute qui s'achève par la dispersion de l'armée des princes et celle du duc de Bourbon, tandis que l'armée de Condé, demeurée en réserve, continuera de se battre, à la solde autrichienne, puis à celle de l'Angleterre et de la Russie, jusqu'en 1801.

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Vaincus, humiliés, dépouillés de leur droits civiques et de leurs biens, mis hors la loi par une série de décrets qui prévoient leur condamnation à mort s'ils rentrent en France ou s'ils sont pris à l'étranger, les émigrés et leurs familles mènent désormais une existence errante, traqués de pays en pays par les armées républicaines qui les chassent successivement des Pays-Bas autrichiens, de la Hollande, de la Suisse, de l'Italie, de l'Espagne et de la quasi-totalité de l'Allemagne. Seuls leur demeurent ouverts certains pays, hors d'atteinte de la France, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie, où certains d'entre eux font de brillantes carrières, comme le duc de Richelieu, fondateur d'Odessa, ou le comte de Langeron, un des plus habiles généraux d'Alexandre Ier.

À côté des grands noms de l'armorial, ce qui donne à l'Europe l'impression que toute la France historique a franchi la frontière, on trouve dans les rangs de l'émigration un mélange à la fois pittoresque et navrant de toutes les classes, de toutes les conditions et de tous les âges. Il y a, certes, de hauts dignitaires, des prélats, des grands seigneurs, mais aussi des prêtres non jureurs, environ une trentaine de mille, des soldats qui ont suivi leurs officiers, des paysans chassés de chez eux par la misère, comme les dix mille cultivateurs du Bas-Rhin, des hobereaux en grand nombre, des bourgeois dont certains ont émigré par vanité, saisissant l'occasion de se mêler à une société plus élégante, bref une foule évaluée par les historiens à près de deux cent mille personnes, sans qu'il soit possible de déterminer un nombre plus exact, tant varient les témoignages ou les listes de recensement.

Loin d'être homogène, cette France en exil, déjà divisée entre émigrés de la première heure et ceux de la onzième, se subdivise en clans, en partis, en coteries qui ont davantage le souci de leur prééminence que celui de l'intérêt commun. Il y a les « purs », royalistes intransigeants, groupés autour du comte d'Artois, tandis que les plus intelligents se rallient au prétendant, le futur Louis XVIII, et les plus suspects, par leurs compromissions avec la Révolution, font bande à part pour former le clan des constitutionnels, plus redoutés pour leur esprit que sollicités pour leurs lumières. Qu'ils appartiennent à l'un ou l'autre de ces camps, tous ces Français dispersés aux quatre coins de l'Europe se ressemblent parfaitement dans leur manière de se comporter.

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N'ayant gardé dans leur misère que le souci de leur rang et la conscience de leur supériorité sur tout ce qui n'est pas français, fiers d'un pays qu'ils ont fui, d'une susceptibilité aisément froissée et d'une hauteur de manières parfois insupportable, les émigrés s'aliènent bien souvent les sympathies, mais forcent l'admiration de leurs hôtes, ou du moins leur respect, par le courage avec lequel ils supportent leurs épreuves.

Dès 1795, nombre d'émigrés essaient de rentrer en France pour sauver ce qui reste de leurs biens. Le coup d'État du 18 fructidor (1797) les rejette au-delà des frontières et provoque même une dernière vague d'émigration.

L'année suivante, sous de faux noms, avec de faux passeports, nobles et prêtres regagnent la France pour y obtenir, grâce à des certificats de complaisance, leur radiation de la liste des émigrés. Le mouvement s'accélère, plus marqué dans le clergé, encouragé dans cette voie par Rome, que dans la noblesse, freinée par ses chefs, obstinément fidèles à la légitimité.

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Dans son désir de réconcilier les deux France, le Premier consul décrète en 1802 une amnistie générale des émigrés dont ne sont exclus que ceux qui ont dirigé des opérations militaires contre la France ou conservent des grades dans les armées étrangères. Aux autres, il ouvre largement les rangs de sa propre armée et les antichambres des Tuileries.

Réunis surtout en Angleterre, autour du futur Louis XVIII et de son frère, les survivants de l'émigration attendent patiemment que sonne l'heure du retour en France et ils devront attendre plus de dix ans après la Restauration pour que soit votée la loi, dite du milliard des émigrés, destinée à les indemniser des pertes subies pendant la Révolution.

— Ghislain de DIESBACH

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