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ALBEE EDWARD (1928-2016)

Pour le grand public, Edward Albee reste avant tout l'auteur de Qui a peur de Virginia Woolf ? (Who's Afraid of Virginia Woolf ?). Cette pièce fut précédée de quelques autres, plus brèves (Zoo Story, Le Tas de sable[The Sandbox], La Mort de Bessie Smith[The Death of Bessie Smith]et Le Rêve de l'Amérique[The American Dream]), mais fut la première à être montée à Broadway, en 1962. Par son succès, elle assura à son auteur la célébrité. Qui a peur de Virginia Woolf ?, dont le titre saugrenu est emprunté à une inscription murale, devait tenir l'affiche quinze mois, être enregistrée sur disques, adaptée au cinéma par Mike Nichols en 1966, avec Elisabeth Taylor et Richard Burton dans les rôles principaux, et présentée un peu partout dans le monde (à Stockholm dans une mise en scène d'Ingmar Bergman, ou à Paris dans une mise en scène de l'Italien Franco Zeffirelli). On peut chercher plusieurs raisons au succès d'Albee, qui ne devait faire que se confirmer. La première, la plus évidente peut-être, est qu'il y avait une place à prendre pour acclimater en Amérique ce qu'on a appelé le « théâtre de l' absurde ». Le rôle d'Albee aura été, de ce point de vue, comparable à celui que joua Pinter en Angleterre : enraciner dans un contexte national la remise en cause, par un Beckett ou un Ionesco, du réalisme psychologique et social. Pinter donnait une voix à la poésie de la grande banlieue londonienne, des stations balnéaires désertes ou des modestes pensions de famille un peu inquiétantes qu'on connaissait déjà par Agatha Christie. Albee, quant à lui, rattachera ses dialogues, soigneusement décrochés de la quotidienneté et attentifs aux bizarreries du langage, à une série de traditions et de thèmes proprement américains : la psychanalyse « sauvage » des rapports familiaux, qui met l'accent sur le matriarcat et la dévirilisation sournoise du mâle américain ; la discrimination raciale contre les Noirs ; les forces de mort d'une civilisation cherchant à liquider les non-productifs et les inadaptés. La deuxième chance d'Albee aura été de correspondre à une certaine inquiétude, à une certaine remise en question de l'americanway of life au cours des années 1960. C'est de 1960, précisément, que date la rencontre d'Albee avec Alan Schneider, metteur en scène attitré de Beckett aux États-Unis et qui deviendra le sien. Quand Albee apparaît sur la scène américaine, l'heure est au psychodrame, au projecteur braqué sur la cellule familiale pour en faire éclater les insuffisances, les mensonges, les faiblesses et les cruautés. Toute l'Amérique est prête à se voir par les yeux du « pauvre-petit-garçon-riche », à se sentir étouffer sous le règne des femmes castratrices. La troisième chance d'Albee, c'est son histoire personnelle, qui lui permet de fonder sur des obsessions une thématique qu'on peut dire récurrente. Enfant adopté (il est né en 1928 à Washington D.C.), Albee prend la parole comme Genet la prend, en bâtard, en proscrit, en écorché vif, et cette obstination dans la rancune contre l'ordre établi fait sa force, cependant que sa familiarité avec le monde qu'il dépeint fait de lui un témoin crédible. Sa sensibilité à la famille américaine sera d'autant plus pertinente, plus aiguisée, qu'il est à la fois dedans et dehors. Faut-il dire que le contexte social sert à Albee de masque pour régler ses comptes personnels, ou que l'oppression privée renvoie aux autres formes d'oppression ? Albee, à propos du Rêve de l'Amérique, exprime en tout cas un vœu : « J'espère que ma pièce transcende le personnel et le privé et a quelque chose à dire sur notre angoisse à tous. »

Qui a peur de Virginia Woolf ? - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Qui a peur de Virginia Woolf ?

Edward Albee - crédits : Jack Mitchell/ Getty Images

Edward Albee

L'introduction de l'absurde aux États-Unis

Sur le plan personnel et privé, c'est dans[...]

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Pour citer cet article

Marie-Claire PASQUIER. ALBEE EDWARD (1928-2016) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Qui a peur de Virginia Woolf ? - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Qui a peur de Virginia Woolf ?

Edward Albee - crédits : Jack Mitchell/ Getty Images

Edward Albee

Autres références

  • LA CHÈVRE (E. Albee)

    • Écrit par Liliane KERJAN
    • 879 mots

    Dans La Chèvre, ou Qui est Sylvia ?,Edward Albee n'est ni tout à fait le même ni tout à fait un autre si l'on se réfère aux pièces restées dans les mémoires comme Zoo Story (1959), Qui a peur de Virginia Woolf ? (1962) ou Delicate Balance (1966). Créée le 10 mars 2002 au Golden...

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Le théâtre et le cinéma

    • Écrit par Geneviève FABRE, Liliane KERJAN, Joël MAGNY
    • 9 328 mots
    • 11 médias
    ...théâtre littéraire s'oriente vers des pièces courtes qui privilégient la satire et l'atmosphère au détriment de la grande tragédie. La production soutenue d'Edward Albee, depuis le succès mondial de The Zoo Story en 1958, avec Laurent Terzieff et Michaël Lonsdale à Paris, a été récompensée par deux...

Voir aussi